Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

voyez le Schol. de la Propos. 29, partie 3). D’où l’on voit que tout homme désire naturellement que les autres vivent à son gré ; et comme tous le désirent également, ils se font également obstacle ; et comme aussi tous veulent être loués ou aimés de tous, ils se prennent mutuellement en haine.


PROPOSITION XXXII

Si nous imaginons qu’une personne se complaise dans la possession d’un objet dont seule elle peut jouir, nous ferons effort pour qu’elle ne le possède plus.

Démonstration : Par cela seul que nous imaginons qu’une personne est heureuse de la possession d’un certain objet, nous aimons cet objet (par la Propos. 27, partie 3, et son Corollaire 1) et désirons en jouir. Or, (par hypothèse), c’est un obstacle à notre désir, que cette personne possède l’objet qu’elle aime. Donc (par la Propos. 28, partie 3) nous ferons effort pour qu’elle ne le possède plus. C. Q. F. D.

Scholie : Nous voyons, par ce qui précède, que la nature humaine est ainsi faite qu’elle réunit presque toujours à la pitié pour ceux qui souffrent l’envie pour ceux qui sont heureux, et que notre haine à l’égard de ceux-ci est d’autant plus forte (par la Propos. précéd.) que nous aimons davantage ce que nous voyons en leur possession. Nous devons aussi comprendre que cette même propriété de la nature humaine qui fait les hommes miséricordieux met en leur âme l’envie et l’ambition. Consultez maintenant l’expérience ; elle vous donnera les mêmes leçons, surtout si vous regardez aux premiers âges de la vie. Ainsi les enfants, dont le corps est continuellement en équilibre, pour ainsi dire, rient et pleurent par cela seul qu’ils voient rire et pleurer ; ce qu’ils voient faire aux autres, ils désirent incontinent l’imiter ; tout ce qu’ils croient agréable aux autres, ils le convoitent pour eux-mêmes ; tant il est vrai que les images des choses, comme nous l’avons dit, ce sont les affections mêmes du corps humain, ou les modifications dont il est affecté par les causes extérieures, et qui le déterminent à agir de telle ou telle façon.


PROPOSITION XXXIII