Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/174

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moins de bien qu’il ne faut. Bien plus, il n’arrive à personne, en pensant qu’elle ne peut faire telle ou telle chose, de penser de soi moins de bien qu’il ne faut. Car toutes les fois que l’homme s’imagine qu’il est incapable de faire une chose, il est nécessaire qu’il imagine cette chose, et cela même le dispose de telle façon qu’il est effectivement incapable de la chose qu’il imagine. Et en effet, tant qu’il s’imagine qu’il ne peut faire une certaine chose, il n’est point déterminé à agir, et conséquemment il est impossible qu’il fasse la chose en question. Et toutefois, si nous considérons les choses qui dépendent uniquement de l’opinion, il nous sera possible de concevoir comment il arrive qu’un homme pense de soi moins de bien qu’il ne faut. Un homme, en effet, qui contemple avec tristesse sa propre impuissance, peut s’imaginer qu’il est l’objet du mépris universel, tandis que personne ne songe à le mépriser.- Un autre sera disposé à penser de soi moins de bien qu’il ne faut, s’il vient à nier présentement de soi-même quelque chose qui a en même temps une relation avec un avenir incertain, par exemple, s’il considère qu’il lui est impossible de rien concevoir avec certitude, de former d’autres désirs et d’accomplir d’autres actes que des actes et des désirs mauvais et honteux, etc. Enfin, nous pouvons dire qu’un homme pense de soi moins de bien qu’il ne faut quand nous le voyons par une fausse honte ne pas oser de certaines choses que ses égaux n’hésitent pas à entreprendre. Nous pouvons donc opposer à l’orgueil la passion que je viens de décrire, et à laquelle je donnerai le nom d’abjection ; car, comme l’orgueil naît de la paix intérieure, de l’humilité naît l’abjection, et je la définis en conséquence.


DÉFINITION XXIX

L’abjection consiste à penser de soi moins de bien qu’il ne faut sous l’impression de la tristesse.

Explication : Nous opposons d’ordinaire l’humilité à l’orgueil ; c’est qu’alors nous avons plus d’égard aux effets de ces deux passions qu’à leur nature. Nous appelons orgueilleux, en effet, celui qui se glorifie à l’excès (voir le Schol. de la Propos. 30, part. 3), qui ne parle de soi que pour exalter sa vertu et des autres que pour dire leurs vices, qui veut ê