Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/184

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existe, avec une égale nécessité. La nécessité qui le fait être est la même qui le fait agir (Propos. 16, part. 1). La raison donc ou la cause par laquelle il agit, et par laquelle il existe, est donc une seule et même raison, une seule et même cause. Or, comme il n’existe pas à cause d’une certaine fin, ce n’est pas non plus pour une fin qu’il agit. Il est lui-même le principe de l’action comme il est celui de l’existence, et n’a rien à voir avec aucune fin. Cette espèce de cause, qu’on appelle finale, n’est rien autre chose que l’appétit humain, en tant qu’on le considère comme le principe ou la cause principale d’une certaine chose. Par exemple, quand nous disons que la cause finale d’une maison c’est de se loger, nous n’entendons rien de plus par là sinon que l’homme, s’étant représenté les avantages de la vie domestique, a eu le désir de bâtir une maison. Ainsi donc cette cause finale n’est rien de plus que le désir particulier qu’on vient de dire, lequel est vraiment la cause efficiente de la maison ; et cette cause est pour les hommes la cause première, parce qu’ils sont dans une ignorance commune des causes de leurs appétits. Ils ont bien conscience, en effet, comme je l’ai souvent répété, de leurs actions et de leurs désirs, mais ils ne connaissent pas les causes qui les déterminent à désirer telle ou telle chose.

Quant à cette pensée du vulgaire, que la nature est quelquefois en défaut, qu’elle manque son ouvrage et produit des choses imparfaites, je la mets au nombre de ces chimères dont j’ai traité dans l’appendice de la première partie. Ainsi donc la perfection et l’imperfection ne sont véritablement que des façons de penser, des notions que nous sommes accoutumés à nous faire en comparant les uns aux autres les individus d’une même espèce ou d’un même genre, et c’est pour cela que j’ai dit plus haut (Déf. 6, part. 2) que réalités et perfection étaient pour moi la même chose. Nous sommes habitués en effet à rapporter tous les individus de la nature à un seul genre, auquel on donne le nom de généralissime,