Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/185

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savoir, la notion de l’être qui embrasse d’une manière absolue tous les individus de la nature. Quand donc nous rapportons les individus de la nature à ce genre unique, et qu’en les comparant les uns aux autres nous reconnaissons que ceux-ci ont plus d’entité ou de réalité que ceux-là, nous disons qu’ils ont plus de perfection ; et quand nous attribuons à certains individus quelque chose qui implique une négation, comme une limite, un terme, une certaine impuissance, etc., nous les appelons imparfaits, par cette seule raison qu’ils n’affectent pas notre âme de la même manière que ceux que nous nommons parfaits ; et ce n’est point à dire pour cela qu’il leur manque quelque chose qui soit compris dans leur nature, ou que la nature ait manqué son ouvrage. Rien en effet ne convient à la nature d’une chose que ce qui résulte nécessairement de la nature de sa cause efficiente, et tout ce qui résulte nécessairement de la nature d’une cause efficiente se produit nécessairement.

Le bien et le mal ne marquent non plus rien de positif dans les choses considérées en elles-mêmes, et ne sont autre chose que des façons de penser, ou des notions que nous formons par la comparaison des choses. Une seule et même chose en effet peut en même temps être bonne ou mauvaise ou même indifférente. La musique, par exemple, est bonne pour un mélancolique qui se lamente sur ses maux ; pour un sourd, elle n’est ni bonne ni mauvaise. Mais, bien qu’il en soit ainsi, ces mots de bien et de mal, nous devons les conserver. Désirant en effet nous former de l’homme une idée qui soit comme un modèle que nous puissions contempler, nous conserverons à ces mots le sens que nous venons de dire. J’entendrai donc par bien, dans la suite de ce traité, tout ce qui est pour nous un moyen certain d’approcher de plus en plus du modèle que nous nous formons de la nature humaine ; par mal, au contraire, ce qui nous empêche de l’atteindre. Et nous dirons que les hommes sont plus ou moins parfaits, plus ou moins imparfaits suivant