Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/202

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la raison, ne désirent rien pour eux-mêmes qu’ils ne désirent également pour tous les autres, et sont, par conséquent, des hommes justes, probes et honnêtes. Voilà les commandements de la raison, que je m’étais proposé de faire connaître ici en peu de mots, avant de les exposer d’une manière plus étendue. Mon dessein était en cela de me concilier l’attention de ceux qui pensent que ce principe : chacun est tenu de chercher ce qui lui est utile, est un principe d’impiété, et non la base de la piété et de la vertu. Maintenant que j’ai rapidement montré que la chose n’est point comme ces personnes le supposent, je vais exposer ma doctrine suivant la même méthode que j’ai pratiquée jusqu’à ce moment.


PROPOSITION XIX

Chacun désire ou repousse nécessairement, d’après les lois de sa nature, ce qu’il juge bon ou mauvais.

Démonstration : La connaissance de ce qui est bon ou mauvais, c’est la passion même de la joie ou de la tristesse, en tant que nous en avons conscience (par la Propos. 8, part. 4), et conséquemment (par la Propos. 28, part. 3) ; chacun désire nécessairement ce qu’il juge bon, et repousse au contraire ce qu’il juge mauvais. Or, ce désir ou appétit, ce n’est autre chose que l’essence même de l’homme ou sa nature (par la Déf. de l’appétit, qu’on trouvera dans le Schol. de la Propos. 9, part. 3, et dans la Déf. 1 des pass.). Donc chacun, par les seules lois de sa nature, désire ou repousse, etc. C. Q. F. D.


PROPOSITION XX

Plus chacun s’efforce et plus il est capable de chercher ce qui lui est utile, c’est-à-dire de conserver son être, plus il a de vertu ; au contraire, en tant qu’il néglige de conserver ce qui lui est utile, c’est-à-dire son être, il marque son impuissance.

Démonstration : La vertu, c’est la puissance de l’homme elle-même, laquelle (en vertu de la Déf. 8, part. 4) se définit par la seule essence de l’homme, c’est-à-dire (en vertu de la Propos. 7, part. 3) par ce seul effort que fait l’homme pour persévérer dans son être. Plus par conséquent chacun s’efforce, et plus il est capable de conserver son ê