Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/211

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ces deux personnes dont nous avons parlé ne cherchent pas à se nuire réciproquement, en tant qu’elles ont une certaine conformité de nature, en tant qu’elles aiment un même objet, mais bien en tant qu’elles diffèrent l’une de l’autre. En effet, en tant qu’elles aiment toutes deux le même objet, l’amour de chacune d’elles se trouve augmenté (par la Propos. 31, part. 3), et partant leur joie (par la Déf. 6 des Passions). Ainsi donc, il s’en faut bien qu’elles soient l’une à l’autre une cause d’ennui en tant qu’elles aiment le même objet et ont une certaine conformité de nature. La vraie cause de leur inimitié, comme je l’ai dit, c’est qu’on suppose entre elles une opposition de nature. On suppose en effet que Pierre a l’idée d’un objet aimé qu’il possède, et Paul, l’idée d’un objet aimé qu’il a perdu. D’où il suit que Paul est plein de tristesse et Pierre plein de joie ; or sous ce point de vue, Pierre et Paul sont de nature contraire. Il me serait aisé de montrer de la même manière que toutes les autre causes de haine dépendent non point de la conformité, mais de l’opposition qui se rencontre dans la nature des hommes.


PROPOSITION XXXV Version audio

Les hommes ne sont constamment et nécessairement en conformité de nature qu’en tant qu’ils vivent selon les conseils de la raison.

Démonstration : Les hommes, en tant qu’ils sont livrés au conflit des affections passives, peuvent être de nature différente (par la Propos. 33, part. 4) et même contraire (par la Propos. précédente). Or, on ne peut dire des hommes qu’ils agissent qu’en tant qu’ils dirigent leur vie d’après la raison (par la Propos. 3, part. 3), et par conséquent tout ce qui résulte de la nature humaine, en tant qu’on la considère comme raisonnable, doit (en vertu de la Déf. 2, part. 3) se concevoir par la nature humaine toute seule, comme par sa cause prochaine. Mais tout homme, par la loi de sa nature, désirant ce qui lui est bon, et s’efforçant d’écarter ce qu’il croit mauvais pour lui (par la Propos. 19, part. 4), et d’un autre côté, tout ce