Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/23

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nité que ses trois angles égalent deux droits ; d’où il suit que la toute-puissance de Dieu a été éternellement en acte et y persistera éternellement ; et de cette façon, elle est établie, à mon avis du moins, dans une perfection bien supérieure. Il y a plus, il me semble que mes adversaires (qu’on me permette de m’expliquer ici ouvertement) nient la toute-puissance de Dieu. Ils sont obligés, en effet, d’avouer que Dieu conçoit une infinité de créatures possibles, que jamais cependant il ne pourra créer ; car autrement, s’il créait tout ce qu’il conçoit, il épuiserait, suivant eux, sa toute-puissance et se rendrait lui-même imparfait. Les voilà donc réduits, pour conserver à Dieu sa perfection, de soutenir qu’il ne peut faire tout ce qui est compris en sa puissance, chose plus absurde et plus contraire à la toute-puissance de Dieu que tout ce qu’on voudra imaginer.

Pour dire ici un mot de l’intelligence et de la volonté que nous attribuons communément à Dieu, je soutiens que, si l’intelligence et la volonté appartiennent à l’essence éternelle de Dieu, il faut alors entendre par chacun de ces attributs tout autre chose que ce que les hommes entendent d’ordinaire, car l’intelligence et la volonté qui, dans cette hypothèse, constitueraient l’essence de Dieu, devraient différer de tout point de notre intelligence et de notre volonté, et ne pourraient leur ressembler que d’une façon toute nominale, absolument comme se ressemblent entre eux le chien, signe céleste, et le chien, animal aboyant. C’est ce que je démontre ainsi qu’il suit. S’il y a en Dieu une intelligence, elle ne peut avoir le même rapport que la nôtre avec les objets qu’elle embrasse. Notre intelligence, en effet, est par sa nature d’un ordre postérieur à ses objets (c’est le sentiment commun), ou du moins d’un ordre égal, tandis qu’au contraire Dieu est antérieur à toutes choses par sa causalité (voir le Coroll. 1 de la Propos. 16), et la vérité, l’essence formelle des choses, n’est ce qu’elle est que parce qu’elle existe objectivement dans l’intelligence de