Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/239

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un certain mal. Mais nous ne pouvons avoir de la durée des choses qu’une connaissance inadéquate (par la Propos. 31, part. 2), et notre imagination seule détermine le temps de leur existence (par le Schol. de la Propos. 44, part. 2). Or l’imagination n’est pas affectée de la même façon par une chose présente et par une chose à venir ; et de là vient que la vraie connaissance que nous avons du bien et du mal n’est qu’une connaissance abstraite ou générale, et que le jugement que nous portons sur l’ordre des choses et l’enchaînement des causes, afin de déterminer ce qui nous est présentement bon ou mauvais, est un jugement plus imaginaire que réel. Il ne faut donc point s’étonner que le désir qui naît de la connaissance du bien et du mal, en tant que relative à l’avenir, puisse être si facilement empêché par le désir des choses qui nous sont actuellement agréables. Sur ce point, voyez la Propos. 18, part. 4.


PROPOSITION LXIII

Quiconque obéit à la crainte et fait le bien pour éviter quelque mal, n’est point conduit par la raison.

Démonstration : Toutes les passions qui se rapportent à l’âme, en tant qu’elle agit, c’est-à-dire (par la Propos. 3, part. 3) à la raison, ne sont autre chose que des affections de joie ou des désirs (par la Propos. 59, part. 3), et par conséquent (en vertu de la Déf. 13 des passions), celui qui obéit à la crainte et fait le bien par peur du mal n’est point conduit par la raison. C. Q. F. D.

Scholie : Les hommes superstitieux qui aiment mieux tonner contre les vices qu’enseigner les vertus, et qui, s’efforçant de conduire les hommes non par la raison, mais par la crainte, les portent a éviter le mal plutôt qu’à aimer le bien, n’aboutissent à rien autre chose qu’à rendre les autres aussi misérables qu’eux-mêmes ; et c’est pourquoi il n’est point surprenant qu’ils se rendent presque toujours odieux et insupportables aux hommes.

Corollaire : Le désir qui provient de la raison nous fait aller en bien directement ; il ne nous éloigne du mal que d’une manière indirecte.

Démonstration :