Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/245

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recevoir leurs bienfaits et de leur en faire des remerciements conformes à leur caractère. Ajoutez à cela que, même en refusant un bienfait, il faut s’assurer qu’on ne prendra pas ce refus comme une marque de mépris, et qu’on ne pensera pas que l’avarice nous fait craindre d’être obligés à la reconnaissance ; car alors nos efforts mêmes pour éviter la haine des hommes les indisposeraient contre nous. Je conclus que, dans le refus des bienfaits, il y a une règle à garder, celle de l’utile et de l’honnête.


PROPOSITION LXXI

Les hommes libres seuls sont très reconnaissants les uns à l’égard des autres.

Démonstration : Les hommes libres seuls sont très utiles les uns aux autres, et unis par une étroite et réciproque amitié (en vertu de la Propos. 35, part. 4 et son premier Coroll.). Seuls ils s’efforcent de se faire du bien les uns aux autres par le zèle d’un attachement mutuel (en vertu de la Propos. 37, part. 4). Donc (par la Déf. 34 des passions) les hommes libres seuls sont très reconnaissants les uns pour les autres. C. Q. F. D.

Scholie : La reconnaissance qu’ont les uns pour les autres les hommes qu’un désir aveugle conduit est plutôt un marché ou une fourberie qu’une reconnaissance véritable.

L’ingratitude n’est point une passion, et cependant elle est honteuse, parce qu’elle est le fait d’un homme anime de sentiments de haine, de colère, ou d’orgueil, d’avarice, etc. Car je n’appelle pas ingrat un homme qui par sottise ne sait pas rendre les bienfaits qu’il a reçus, et moins encore celui que les dons d’une courtisane ne peuvent décider à satisfaire sa passion, ou qui ne consent point à recevoir les présents d’un voleur pour l’aider à cacher son vol. Un tel homme, au contraire, montre une âme ferme, puisque aucun don ne peut le corrompre et le faire consentir à sa perte ou à celle d’autrui.


PROPOSITION LXXII

L’homme libre n’emploie jamais de mauvaises ruses dans sa conduite : il agit toujours avec bonne foi.

Démonstration :