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DE L’ENTENDEMENT.

elles sont d’un grand secours pour atteindre le but que l’on se propose, ainsi que nous le montrerons ailleurs.

Ici je veux seulement dire en peu de mots ce que j’entends par le vrai bien, et quel est le souverain bien. Or, pour s’en former une juste idée, il faut remarquer que le bien et le mal ne se disent que d’une façon relative, en sorte qu’un seul et même objet peut être appelé bon ou mauvais, selon qu’on le considère sous tel ou tel rapport ; et de même pour la perfection et l’imperfection. Nulle chose, considérée en elle-même, ne peut être dite parfaite ou imparfaite, et c’est ce que nous comprendrons surtout quand nous saurons que tout ce qui arrive, arrive selon l’ordre éternel et les lois fixes de la nature. Mais l’humaine faiblesse ne saurait atteindre par la pensée à cet ordre éternel ; l’homme conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure à la sienne, où rien, à ce qu’il lui semble, ne l’empêche de s’élever ; il recherche tous les moyens qui peuvent le conduire à cette perfection nouvelle ; tout ce qui lui semble un moyen d’y parvenir, il l’appelle le vrai bien ; et ce qui serait le souverain bien, ce serait d’entrer en possession, avec d’autres êtres, s’il était possible, de cette nature supérieure. Or, quelle est cette nature ? nous montrerons, quand il en sera temps[1] que ce qui la constitue, c’est la connaissance de l’union de l’âme humaine avec la nature tout entière. Voilà donc la fin à laquelle je dois tendre : acquérir cette nature humaine supérieure, et faire tous mes efforts pour que beaucoup d’autres l’acquièrent avec moi ; en d’autres termes, il importe à mon bonheur que beaucoup d’autres s’élèvent aux mêmes pensées que moi, afin que leur entendement et leurs désirs soient en accord avec les miens ; pour cela[2], il suffit de deux choses, d’abord de comprendre la nature universelle autant qu’il est nécessaire pour acquérir cette nature humaine supérieure ; ensuite

  1. Ces choses seront expliquées plus amplement en leur lieu.
  2. Remarquez que je ne veux énumérer ici que les sciences nécessaires à notre but, et encore que je ne m’occupe pas de leur enchaînement.