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DE LA RÉFORME

tombent pas sous l’imagination, et d’en trouver d’autres dans l’imagination qui répugnent complètement à l’entendement, tandis que d’autres enfin s’accordent avec lui, puisque nous savons que les opérations que produisent les imaginations ont lieu suivant certaines lois entièrement différentes des lois de l’entendement, et que l’âme dans l’imagination n’a qu’un rôle passif. On comprend facilement par là avec quelle facilité peuvent tomber dans des erreurs grossières ceux qui n’ont pas distingué avec soin l’imagination et l’entendement : ils croient, par exemple, que l’étendue doit être dans un lieu, qu’elle doit être finie, que les parties en sont réellement distinctes les unes des autres, qu’elle est le premier et unique fondement de toutes choses, qu’elle occupe dans un temps plus d’espace que dans un autre, et autres assertions semblables, qui toutes sont contraires à la vérité, comme nous le montrerons en son lieu.

Ensuite, comme les mots sont une partie de l’imagination, c’est-à-dire que, selon qu’une certaine disposition du corps fait qu’ils se sont arrangés vaguement dans la mémoire, nous nous formons beaucoup d’idées chimériques, il ne faut pas douter que les mots, ainsi que l’imagination, puissent être cause de beaucoup de grossières erreurs, si nous ne nous tenons fort en garde contre eux. Joignez à cela qu’ils sont constitués arbitrairement et accommodés au goût du vulgaire, si bien que ce ne sont que des signes des choses telles qu’elles sont dans l’imagination, et non pas telles qu’elles sont dans l’entendement ; vérité évidente si l’on considère que la plupart des choses qui sont seulement dans l’entendement ont reçu des noms négatifs, comme immatériel, infini, etc., et beaucoup d’autres idées qui, quoique réellement affirmatives, sont exprimées sous une forme négative, telle qu’incréé, indépendant, infini, immortel, et cela parce que nous imaginons beaucoup plus facilement les contraires de ces idées, et que ces contraires, se présentant les premiers aux premiers