Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
LETTRES.

qu’ils sont en sa puissance. Mais je retourne l’argument contre vous, et je dis avec plus de raison que vous, ce me semble, que si les hommes sont en la puissance de Dieu, c’est pour cela même qu’ils sont tous complètement excusables. Qui ne voit, en effet, que l’homme peut dire à Dieu : votre puissance, ô Dieu, est insurmontable ; je n’ai donc pu agir autrement et mon action est justifiée !

J’arrive à votre sentiment que les miracles et l’ignorance sont choses équivalentes, où il me semble que vous imposez les mêmes limites à la science des hommes (les plus habiles, il est vrai) et à la puissance de Dieu. Comme si Dieu ne pouvait rien faire ni rien produire dont les hommes ne soient capables de rendre raison en y appliquant les forces de leur génie. Et pour ne parler que de Jésus-Christ, je trouve que le récit de sa passion, de sa mort, de son ensevelissement, de sa résurrection, est tracé avec des couleurs si naturelles et si vives que j’ose en appeler ici à votre conscience et vous demander, à vous qui admettez l’autorité de l’histoire, s’il faut prendre ce récit à la lettre ou n’y voir qu’une allégorie. Quant à moi, il me paraît que toutes les circonstances de cet événement, si clairement consignées par les évangélistes, ne permettent pas de prendre leur récit dans un autre sens que le sens littéral. Veuillez, Monsieur, lire avec indulgence ces quelques réflexions et y répondre avec la franchise d’un ami. M. Boyle vous réitère ses compliments. Je compte vous dire par un prochain courrier où en sont les affaires de la Société royale. Adieu. Aimez-moi toujours.

Londres, 14 juin 1676.