Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/385

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grandes ou plus petites et de les diviser en parties, tout cela sans détruire le concept que nous en avons. Mais l’éternité et la substance, ne pouvant être conçues que comme infinies, ne souffrent rien de semblable, ou bien l’on en détruit la notion. C’est donc un véritable bavardage, pour ne pas dire une folie, que de prétendre que la substance étendue soit composée de parties ou de corps réellement distingués les uns des autres ; c’est exactement comme si on s’avisait de former, par l’addition et l’accumulation d’un grand nombre de cercles, un carré ou un triangle ou telle autre chose d’une essence toute différente de celle du cercle. Ainsi donc tout cet échafaudage d’arguments par où le commun des philosophes cherche à démontrer que la substance étendue est finie croule de soi-même ; car on y suppose toujours que la substance corporelle est formée de parties, à peu près comme ceux qui s’étant une fois mis dans l’esprit que la ligne est composée de points découvrent ensuite une foule d’arguments pour prouver qu’elle n’est pas divisible à l’infini 5.

Si vous me demandez maintenant d’où vient qu’une sorte de penchant naturel nous porte à diviser la substance étendue, je vous dirai que la quantité se conçoit de deux façons : d’une façon abstraite et superficielle, telle que les sens la représentent à l’imagination, ou bien comme substance, telle que l’entendement seul peut la concevoir. Si nous considérons la quantité des yeux de l’imagination, c’est le procédé le plus facile et le plus ordinaire, elle est divisible, finie, composée de parties, et multiple par conséquent ; mais si nous la considérons telle que l’entendement nous la fait connaître, c’est-à-dire si nous la percevons telle qu’elle est en soi, chose très-difficile, je l’avoue, il se trouve alors, comme je vous l’ai suffisamment démontré autrefois, qu’elle est infinie, indivisible et unique.

Les notions du temps et de la mesure naissent de cette faculté que nous avons de déterminer à volonté la durée