Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/393

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est un non-être et qu’il n’y a pas de coopération de Dieu au non-être ; car on demande d’où venait la volonté de manger, d’où venait la volonté des démons de s’égaler à Dieu. C’est une remarque très-juste que vous faites que la volonté n’est pas distincte de l’âme, qu’elle n’est autre chose que le mouvement ou l’effort de l’âme ; donc, pour un mouvement autant que pour un autre, la volonté a toujours besoin du concours de Dieu ; et qu’est-ce que le concours de Dieu, d’après vos propres paroles ? rien autre chose que la détermination précise de l’acte par la volonté de Dieu. Il s’ensuit que Dieu concourt également à une mauvaise volonté, en tant que mauvaise, et à une bonne, en tant que bonne, c’est-à-dire qu’il les détermine. Ainsi la volonté de Dieu, cause unique de toute substance et de tout effort, paraît être aussi la cause première d’une volonté mauvaise, en tant que mauvaise. Ajoutez qu’il ne se fait en nous aucune détermination de la volonté que Dieu ne l’ait connue dès l’éternité ; il ne peut l’ignorer sans être imparfait. S’il la connaît, comment la peut-il connaître, si ce n’est par ses propres décrets ? Les décrets de Dieu sont donc causes de nos déterminations ; et voilà encore qu’une volonté mauvaise n’est pas un mal, ou que Dieu est la cause immédiate et l’agent de ce mal. Notez bien qu’il n’y a pas de place ici pour la distinction des théologiens entre l’acte et le mal inhérent à l’acte ; l’acte et le mode de l’acte étaient dans les décrets de Dieu, c’est-à-dire que Dieu n’a pas seulement décidé qu’Adam mangerait, mais bien qu’il mangerait nécessairement contre l’ordre de Dieu. De sorte qu’on retrouve partout cette double conséquence : ou ce n’est pas un mal de violer le précepte, ou ce mal, c’est Dieu qui le fait.

Voilà, Monsieur, ce qu’en ce moment je ne puis comprendre dans votre traité ; car ces deux alternatives m’effrayent autant l’une que l’autre. Mais j’attends de votre habileté et de vos lumières la solution de mon doute, et j’espère être plus tard en état de montrer combien je vous aurai été redevable. Croyez bien au moins que je ne