Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/404

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d’Adam pour les choses terrestres n’était un mal qu’au regard de notre intelligence et non point au regard de celle de Dieu. Car, bien que Dieu connût l’état passé d’Adam et son état présent, il ne le croyait pas privé pour cela de son état passé ; en d’autres termes, il ne croyait pas que son état passé appartînt à sa nature. Autrement, l’intelligence de Dieu serait contradictoire à sa volonté, c’est-à-dire à son intelligence elle-même 4. Si vous aviez bien entendu ce point, Monsieur, et si vous aviez remarqué en même temps que je n’accorde nullement pour mon compte cette sorte de liberté que Descartes attribue à l’âme humaine, ainsi que L. M. 5 l’a déclaré en mon nom dans la préface de mon ouvrage, soyez assuré que toute contradiction dans mes paroles se serait dissipée à vos yeux. Mais je vois bien maintenant que j’aurais beaucoup mieux fait de vous répondre en cartésien dans ma première lettre, et de vous dire que nous ne pouvons savoir comment notre liberté et ce qui en dépend peut se concilier avec la providence et la liberté de Dieu (comme je l’ai dit dans mon Appendice en plusieurs endroits) ; si bien que le dogme de la création ne doit introduire aucune contradiction dans celui de la liberté, l’esprit humain étant incapable de comprendre comment Dieu a créé le monde et (ce qui est la même chose) comment il le conserve. J’étais convaincu en vous écrivant que vous aviez lu la préface en question, et il me paraissait que ce serait manquer au devoir d’une amitié que je vous offrais cordialement que de ne pas vous répondre selon mes véritables sentiments. Mais passons là-dessus.

Cependant, comme je m’aperçois que vous n’avez pas encore bien saisi la pensée de Descartes, je vous prie de faire quelque attention à deux choses : premièrement, que ni moi, ni Descartes, nous n’avons jamais dit qu’il appartînt