Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/408

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Avant d’arriver à votre seconde règle, vous notez dans mon livre deux endroits que vous dites que vous n’entendez point. Pour le premier, il n’est pas nécessaire de rien ajouter à ce que dit Descartes, savoir, qu’en observant votre propre nature, vous sentez en vous-même que vous pouvez suspendre votre jugement. Que si vous prétendez que vous ne sentez point en vous-même que vous ayez aujourd’hui assez de force pour continuer par la suite à suspendre votre jugement, c’est aux yeux de Descartes comme si vous disiez que nous ne pouvons pas aujourd’hui nous assurer que si nous continuons d’exister demain, nous retiendrons la nature d’êtres pensants, ce qui implique contradiction.

Quant au second endroit dont vous parlez, je dis avec Descartes que, si nous ne pouvions pas étendre notre volonté hors des limites si étroites de notre entendement, nous serions les plus malheureux des êtres, incapables de faire un pas, de manger un morceau de pain, de subsister deux instants de suite ; car notre existence est entourée de périls et d’incertitudes.

J’arrive à votre seconde lettre, et je vous assure, Monsieur, que, tout en n’attribuant point à l’Écriture cette sorte de vérité que vous croyez qu’elle a, je pense reconnaître autant et plus que vous son autorité, et je pense également prendre beaucoup plus de précautions que ne font d’autres personnes pour n’y point supposer des pensées puériles et absurdes ; péril bien difficile à éviter, du reste, à moins qu’on n’entende parfaitement la philosophie ou qu’on ne soit éclairé de lumières divines. Et je m’inquiète fort peu, je l’avoue, des explications de l’Écriture données par le vulgaire des théologiens, surtout par ceux qui prennent l’Écriture à la lettre et ne pénètrent pas au delà du sens extérieur. Du reste, je n’ai jamais rencontré un théologien d’esprit assez épais, sauf les sociniens, pour ne pas voir que la sainte Écriture parle fréquemment de Dieu d’une manière humaine et exprime sa pensée par des paraboles. Quant à la contradiction