Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/456

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la seule force de la superstition. Je ne parle pas de leurs miracles : mille personnes, et je les suppose bavardes, se fatigueraient à les raconter. Mais ce dont ils s’enorgueillissent de préférence, ce sont leurs martyrs. Ils en comptent plus que toute autre nation, et chaque jour augmente le nombre de ceux de leurs frères qui savent souffrir pour leur foi avec une force d’âme singulière. Ici je suis moi-même témoin de leur sincérité : j’ai vu entre beaucoup d’autres un certain Juda, qu’ils nomment le Fidèle, qui, élevant la voix du sein des flammes où on le croyait déjà consumé, entonna l’hymne Tibi, Deus, animam meam offero, et n’interrompit ce chant que pour rendre le dernier soupir.

Vous exaltez la discipline de l’Église romaine ; j’avoue qu’elle est d’une profonde politique, et profitable à un grand nombre, et je dirais même que je n’en connais pas de mieux établie pour tromper le peuple et enchaîner l’esprit des hommes, s’il n’y avait l’Église mahométane, qui surpasse de beaucoup la romaine à cet égard.

Vous voyez, Monsieur, qu’au bout du compte, le seul de vos arguments qui soit pour les chrétiens, c’est le troisième, qui repose sur ce que des hommes sans lettres et de condition basse sont parvenus à convertir presque tout l’univers à la foi du Christ. Mais remarquez que cette raison ne vaut pas seulement pour l’Église romaine ; elle vaut pour toutes les Églises qui reconnaissent Jésus-Christ.

Je suppose maintenant que toutes vos raisons soient en faveur de la seule Église romaine. Croyez-vous avoir pour cela démontré mathématiquement l’autorité de cette Église ? Certes, il s’en faut infiniment. Pourquoi voulez-vous donc que je croie que mes démonstrations m’ont été inspirées par le prince des esprits méchants, et non par Dieu ? J’ajoute que votre lettre me fait voir clairement que si vous vous êtes donné corps et âme à l’Église romaine, ce n’est pas tant l’amour de Dieu qui vous y a porté que la crainte de l’enfer, ce principe unique de toute superstition. Hé quoi ! poussez-vous l’humilité jusqu’à ne