Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec un homme d’un si singulier caractère, je lui persuadai d’accepter cette hospitalité que M. Cleishbotham aime toujours à accorder à ceux qui en ont besoin. En nous rendant à la maison du maître d’école, nous nous arrêtâmes à l’auberge de Wallace, où j’étais alors presque certain de trouver le soir mon patron. Après un échange de civilités, le Vieillard consentit, non sans quelque peine, à accepter un verre de liqueur, à condition toutefois qu’il lui serait permis de porter une santé, en la faisant précéder d’une prière d’environ cinq minutes ; et alors, la tête découverte et les yeux levés vers le ciel, il but à la mémoire de ces héros de l’Église qui les premiers avaient arboré sa bannière sur les montagnes. N’ayant pu parvenir à lui faire accepter un second verre, mon patron l’accompagna chez lui et le plaça dans la chambre du prophète, comme il se plaît à nommer la pièce qui contient un lit de réserve, et qui souvent sert de lieu de repos au pauvre voyageur[1].

Le jour suivant je pris congé du Vieillard. Il semblait touché de l’attention peu ordinaire que j’avais mise à cultiver sa connaissance et à écouter sa conversation. Après avoir monté, quoique difficilement, sur son vieux compagnon, il me prit la main et me dit : « Que la bénédiction de notre Maître soit avec vous, jeune homme ! mes heures sont comme les épis de la dernière moisson, et vos jours sont encore dans le printemps ; cependant vous pouvez être moissonné et porté avant moi dans le grenier de la mort, car sa faulx abat les épis verts aussi bien que les épis mûrs, et je remarque sur vos joues une couleur qui, comme le bouton de la rose, sert souvent à cacher le ver de la corruption ; ainsi hâtez-vous de travailler comme le serviteur qui attend l’arrivée de son maître. Et si je devais revenir dans le village après la fin de votre pèlerinage ici-bas, ces mains décharnées et flétries élèveraient une pierre à votre mémoire, et j’y graverais votre nom afin qu’il ne pérît pas tout entier sur cette terre. »

Je remerciai le Vieillard des bienveillantes intentions qu’il me témoignait ; et un soupir involontaire m’échappa, moins de regret

  1. Et au riche aussi, aurait-il pu ajouter ; car, grâce à Dieu, les grands de la terre ont aussi reposé dans ma pauvre demeure. Lorsque j’avais pour servante Dorothée, une grosse réjouie à la mine et aux manières avenantes, Son Honneur le laird de Smackava, en allant à la métropole et en revenant, préférait toujours la chambre du prophète aux appartements les plus élégants de l’hôtel de Wallace, et sacrifiait une chopine, comme il le disait gaiement, pour obtenir son droit d’entrée dans la maison ; mais c’était plutôt afin de jouir de ma compagnie pendant la soirée. j. c.