Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/42

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non seulement de Wamba, mais encore de son compagnon, pourtant bien moins frivole. Il reconnut aussitôt le moine pour le prieur de l’abbaye de Jorvaulx, célèbre à plusieurs lieues à la ronde comme un amateur passionné de la chasse, de la table, et, si la renommée n’est pas trompeuse, de beaucoup d’autres plaisirs mondains bien plus incompatibles encore avec les vœux du cloître.

Cependant les idées que l’on nourrissait relativement à la conduite du clergé, tant séculier que régulier, étaient à cette époque si relâchées que le prieur Aymer conservait une assez bonne réputation dans le voisinage de son abbaye. Son caractère jovial et franc, la facilité avec laquelle il accordait l’absolution de tous les petits péchés ordinaires de la vie, le faisaient accueillir parmi les nobles de toutes les classes, et à plusieurs desquels il se trouvait uni par des liens de parenté, étant lui-même d’une famille normande très distinguée. Les dames surtout n’étaient pas disposées à éplucher trop minutieusement la conduite d’un des plus ardens admirateurs de leurs charmes, et si habile à dissiper l’ennui qui ne réussissait que trop bien à s’introduire dans les salons et les boudoirs d’un château féodal. Le prieur se mêlait aux amusements de la chasse avec une ardeur étonnante, et il était connu pour posséder les faucons les mieux dressés et les lévriers les plus agiles de tout le Nort-Riding[1], circonstance qui le recommandait puissamment auprès de la jeune noblesse. Il avait avec les vieillards un autre rôle à jouer, et il s’en acquittait à merveille. Ses connaissances très superficielles en littérature lui suffisaient pour imprimer à leur ignorance le respect le plus grand à l’égard de son érudition supposée ; la gravité de son air et de son langage, le ton imposant qu’il prenait en parlant de l’autorité de l’Église et du sacerdoce, donnaient presque lieu de croire à sa sainteté ; même le bas peuple, le plus sévère critique de la conduite de ses supérieurs, avait de l’indulgence pour les folies du prieur Aymer. Il était charitable, et la charité, comme on le sait, rachète une foule de péchés dans un autre sens que ne le dit l’Écriture. Les revenus de l’abbaye, dont une grande partie se trouvait à sa disposition, en lui donnant les moyens de faire face à ses dépendes considérables, lui permettaient encore de prodiguer des largesses aux paysans et de soulager quelquefois la détresse des plus nécessiteux. Si le prieur Aymer allait souvent à la chasse, restait long-temps à table ; si on le voyait à la pointe du jour rentrer par la poterne de l’abbaye, après avoir passé la nuit à quelque

  1. Partie du comté d’York, lequel se divisait en plusieurs riding ou cercles. a. m.