Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/24

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Ainsi, étranger à tous les motifs ordinaires qui portent les jeunes gens à embrasser le parti des armes, et sans le moindre désir de devenir un héros ou un dandy[1], je ne sais réellement pas ce qui tourna mes idées de ce côté, si ce n’est l’heureuse indolence que procure la demi-solde, avantage dont jouissait le capitaine Dooliltle[2], qui avait choisi pour son dernier campement le village où j’avais pris naissance. Tous les autres avaient ou paraissaient avoir quelque chose à Caire, l’un plus, l’autre moins. À la vérité, ils n’allaient pas précisément à l’école apprendre des leçons, ce qui, selon moi, est le pire de tous les maux ; mais, tout jeune que j’étais, il n’échappait pas à mon observation qu’ils étaient tous lutinés par ce qu’ils regardaient plutôt comme une fatigue que comme un devoir : je dis tous, à l’exception du capitaine Doolittle. Le ministre avait sa paroisse à visiter, son sermon à préparer, quoiqu’à l’égard de l’un et de l’autre il fît peut-être plus d’embarras que de besogne. Le laird avait à parcourir son domaine et à surveiller les ouvriers qu’il y employait, outre qu’il devait se trouver à des comités de curatelle, des assemblées de canton, des séances de haute cour ou de justice de paix, et que sais-je encore ? Il se levait de bonne heure, ce que j’ai toujours détesté, et était toujours dehors, quelque temps qu’il fît, faisant lui-même l’office de piqueur et de surveillant. Le boutiquier (il n’y en avait dans le village qu’un seul qui méritât ce nom) était à la vérité assez tranquille derrière son comptoir, car il n’était nullement surchargé de pratiques, mais enfin il jouissait de son repos ou de son status, comme disait le bailli, sauf à mettre toute sa boutique sens dessus dessous lorsque quelqu’un venait demander une aune de mousseline, une souricière, une once de carvi, un quarteron d’épingles, les sermons de M. Péden, ou la Vie de Jack, la terreur des géants, et non le tueur de géants[3], comme on le nomme à tort généralement. (Voyez ma dissertation sur la véritable histoire de ce digne preux, dont les exploits réels ont été défigurés par la fable.) En un mot, chacun dans le village était obligé de faire quelque chose dont il se serait fort bien dispensé, excepté le capitaine Doolittle, qui se promenait le matin dans la grande rue, espèce

  1. Élégant ou petit-maître de Londres. a. m.
  2. Nom fictif composé de do, faire, et little, peu ; comme qui dirait fait peu, ou fainéant. a. m.
  3. Espèce de Petit Poucet. a. m.