Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/34

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évacuer cette place de défense, et à battre en retraite vers la campagne environnante. J’eus recours à la connaissance que j’avais des familles et des antiquités du voisinage, terrain sur lequel je croyais pouvoir escarmoucher à mon aise, sans qu’il fût possible à l’étranger de remporter sur moi quelque avantage. Mais j’étais dans l’erreur.

L’homme à l’habit gris savait tous les plus petits détails à cet égard, et je ne pouvais lui rien apprendre. Il pouvait dire justement en quelle année la famille de Haga était venue, pour la première fois, s’établir sur son ancienne baronnie. Pas un thane un peu à portée dont il ne connût la famille et les alliances ; il savait combien de ses ancêtres avaient péri par le glaive des Anglais, combien dans les dissensions domestiques, combien par la main de l’exécuteur de la haute justice pour cause de trahison. Leurs châteaux lui étaient connus, depuis la tourelle jusqu’à la pierre fondamentale ; et quant aux diverses antiquités éparses çà et là dans le pays, il les connaissait toutes, depuis le cromlech jusqu’au cairn[1], et pouvait en parler d’une manière aussi exacte que s’il eût vécu du temps des Danois ou des druides.

Je me trouvai alors dans la position mortifiante d’un homme qui, s’étant annoncé comme maître, se voit tout à coup redevenu écolier ; en sorte qu’il ne me resta plus qu’à recueillir tout ce que notre conversation pouvait m’offrir d’intéressant, pour en faire jouir ceux à qui j’aurais ensuite l’occasion de le communiquer. Je voulus, il est vrai, lui raconter l’histoire du moine et de la femme du meunier d’Allan Ramsay, pour battre en retraite avec honneur, en lui lâchant une bordée d’adieux ; mais ici je présentai encore le flanc à l’étranger, éternellement prêt à la réplique.

« Vous aimez à rire, à ce que je vois, monsieur, me dit-il : car vous ne pouvez ignorer que cette facétie a fourni le sujet d’un conte bien plus ancien que celui d’Allan Ramsay. »

Je répondis à son observation par un signe de tête approbatif, ne voulant pas avouer mon ignorance : mais, dans le fait, je n’étais pas plus au courant de ce qu’il voulait me dire que le plus mauvais cheval de l’écurie de mon ami David.

  1. Expressions écossaises dont le sens est : « Depuis la plus modeste sépulture jusqu’à la plus magnifique. » Le mot cromlech s’applique à la tombe la plus humble ; cairn à la grande accumulation de pierres jetées par les passants sur le tombeau d’un homme illustre. Lorsqu’en Écosse un guerrier estimé mourait, ses compagnons lui disaient : « Nous ajouterons une pierre à votre cairn. » a. m.