Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/45

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« Je serais bien étonné qu’il le fût, » pensais-je en moi-même.

L’étranger continua :

Que saint François me soit propice !
En cette nuit combien de fois

J’ai heurté les tombeaux, triste et fatal auspice !

— Nous voici hors du cimetière, dis-je, et il n’y a qu’un pas d’ici chez David, où j’espère que nous trouverons un bon feu après notre excursion nocturne. »

Nous entrâmes effectivement dans le petit salon : Mattocks se disposait assez effrontément à se glisser après nous, lorsque David, l’apostrophant d’un juron énergique, le mit dehors par les épaules, en maudissant sa curiosité qui ne voulait pas laisser les gens tranquilles dans leur hôtellerie. Quant à notre hôte, apparemment il ne regarda pas sa présence comme inconvenante ; car il vint se poster tout près de la table sur laquelle j’avais déposé la boîte de plomb. Elle était fragile et détériorée, comme on devait s’y attendre, vu le nombre d’années qu’elle avait passées dans la terre. Lorsqu’elle fut ouverte, nous trouvâmes qu’on y avait renfermé une cassette de porphyre, ainsi que l’étranger nous l’avait annoncé.

« Je m’imagine, messieurs, dit le bénédictin, que votre curiosité ne sera pas satisfaite, peut-être devrais-je dire que vos soupçons ne seront point écartés, à moins que je n’ouvre cette cassette ; et cependant elle ne contient que les restes poudreux d’un cœur, autrefois le siège des pensées les plus nobles. »

Il ouvrit la boîte avec beaucoup de précaution ; mais la substance desséchée qu’elle contenait ne ressemblait plus à ce qu’elle avait pu être autrefois, les moyens employés pour l’embaumer ayant sans doute été insuffisants pour lui conserver sa forme et sa couleur, bien qu’ils eussent empêché sa dissolution totale. Au reste nous demeurâmes convaincus que c’étaient, comme l’étranger l’affirmait, les restes d’un cœur humain, et David promit volontiers le secours de son influence, presque aussi grande que celle du bailli, pour imposer silence à toutes les vaines rumeurs qui se répandaient dans le village. Il voulut bien aussi nous favoriser de sa compagnie à souper, et ayant pris sa part de deux bouteilles de sherry (part du lion, en vérité !) non seulement il sanctionna de sa pleine autorité l’enlèvement du cœur par l’étranger, mais je crois qu’il aurait autorisé l’enlèvement de l’abbaye elle-même, sans les avantages considérables que le voisinage de cet édifice procurait à son auberge.