Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/20

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de lui, pensa Magnus, et son visage de rabat-joie n’arrêtera plus la bouteille dans sa ronde. Son départ va me ruiner en citrons, pourtant ; car son seul regard eût suffi pour aciduler tout un océan de punch. »

Toutefois le bon Shetlandais représenta avec générosité et désintéressement à M. Mertoun la solitude et les inconvénients dont il allait s’entourer. « C’était à peine, lui dit-il, s’il se trouvait dans la vieille maison les meubles les plus nécessaires… Il n’y avait point de société à plusieurs milles de là… Quant aux provisions de bouche, elles consisteraient principalement en poissons[1] salés, et sa compagnie se composerait de mouettes et de courlis. — Mon bon ami, répliqua Mertoun, la circonstance la plus capable de me faire préférer cette demeure à toute autre, c’est que ni le luxe humain ni la société humaine ne pourront pénétrer dans ma retraite ; un abri contre l’orage pour ma tête et celle de mon fils, c’est tout ce que je demande. Dites-moi donc votre prix, monsieur Troil, et que je sois votre locataire à Jarlshof. — Mon prix ? répliqua le Shetlandais ; ma foi, le loyer n’est pas fort d’une vieille maison où personne n’a habité depuis le temps de ma mère ; Dieu veuille qu’elle repose en paix ! Et quant à un abri, les vieilles murailles sont assez épaisses, et résisteront encore à plus d’un coup. Mais, par la miséricorde divine, monsieur Mertoun, songez à ce que vous voulez faire ; qu’un de nous autres allât vivre à Jarlshof, ce serait déjà une idée assez singulière ; et vous qui êtes d’un autre pays, Anglais, Écossais, ou Irlandais, c’est ce que personne ne peut dire… — Et c’est chose qui importe fort peu, » interrompit Mertoun, assez brusquement.

« Sans doute, et je ne m’en soucie pas plus que d’une écaille de hareng, repartit le laird ; seulement je préfère que vous ne soyez pas Écossais ; car j’espère que vous ne l’êtes pas. Les Écossais sont venus ici comme des bandes d’oies sauvages… Chaque couple a amené une nichée qui porte son nom et construit son nid ; maintenant, que sais-je ? les voilà campés ici… Engagez-les à retourner dans leurs montagnes nues ou dans leurs basses terres, à présent qu’ils ont goûté notre bœuf shetlandais, qu’ils ont apprécié le poisson de nos voes[2]. Non, monsieur (ici Magnus s’anima beaucoup, humant de temps en temps quelques gouttes d’eau-de-vie, ce qui enflammait davantage son ressentiment contre les intrus, et le

  1. Sillocks, dit le texte ; petits poissons fort abondants aux îles Shetland. a. m.
  2. Lacs d’eau salée. a. m.