Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/30

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roulait sans les rompre ses pesantes et vastes lames, était la demeure d’une célèbre sorcière.

L’Océan avait aussi ses mystères, dont l’effet était augmenté par le pâle crépuscule au travers duquel il était imparfaitement vu pendant plus de la moitié de l’année. Ses abîmes sans fond et ses secrètes profondeurs contenaient, au rapport de Sweyn et d’autres pêcheurs, tous habiles dans la science des légendes, des merveilles que pourtant les navigateurs modernes rejettent avec dédain. Dans la baie tranquille, éclairée par la lune, où les vagues venaient doucement baigner sur la côte un lit de sable fin et de coquillages, on voyait souvent la sirène se glisser, guidée par la déesse des nuits ; et quelquefois même on l’entendait, mêlant sa voix à la brise harmonieuse, célébrer les merveilles cachées sous les flots, ou prophétiser l’avenir. Le kraken[1], le plus énorme des êtres vivants, encombrait encore, à ce qu’on supposait, les abîmes de la mer du Nord, et souvent, lorsque quelque banc de brume couvrait l’Océan à une certaine distance, l’œil du matelot expérimenté voyait les cornes du monstrueux léviathan s’agiter et se balancer au milieu de cette ceinture de brouillard ; alors il s’enfuyait en faisant force de voiles et de rames, de peur qu’un gouffre soudain, occasionné par la chute de cette masse monstrueuse qui se laisse aller au fond, n’entraînât le frêle esquif à portée de ses innombrables griffes. Le serpent de mer était aussi connu, qui, s’élançant hors des profondeurs de l’Océan, lève jusqu’aux nues son cou énorme couvert d’une crinière semblable à celle d’un cheval de guerre, et avec ses jeux larges et luisants se dresse haut comme un grand mât, et épie, à ce qu’il semble, du butin ou des victimes.

Beaucoup d’histoires merveilleuses sur ces monstres marins, et sur plusieurs autres moins connus, étaient alors universellement accréditées parmi les Shetlandais, et leurs descendants peuvent à peine se résoudre aujourd’hui à mettre en doute la vérité de ces récits.

De telles légendes sont reçues, à la vérité, dans chaque pays du monde vulgaire ; mais elles affectent beaucoup plus puissamment l’imagination sur les profondes et dangereuses mers du Nord, au milieu des précipices et des caps hauts de plusieurs centaines de pieds, à travers les courants périlleux, les détroits et les bancs de sable, les longues chaînes de récifs, sur lesquels l’Océan, toujours inquiet, écume et bouillonne, les sombres cavernes au fond desquelles ni homme ni barque ne s’aventura jamais, les îles solitaires

  1. Espèce de polype gigantesque entièrement fabuleux. a. m.