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CHAPITRE I.

Ce dernier argument me força de m’éloigner sur le champ, et je sortis agité par une foule de sentiments tous aussi pénibles les uns que les autres.

Quand je fus revenu du premier choc de ces émotions douloureuses, je songeai à renouer mes liaisons avec quelques anciens camarades qui, bien qu’ils me fussent moins chers que mon malheureux ami, soulagèrent un peu l’ennui de ma solitude : ils furent peut-être d’autant moins disposés à résister à mes avances, que j’étais célibataire, tant soit peu chargé d’années, nouvellement revenu des pays étrangers, et sinon très-riche, du moins indépendant.

Je fus regardé comme un objet passable de spéculation par quelques-uns, tandis que j’étais certain de ne pouvoir être à charge à qui que ce fût. Je fus donc, conformément aux règles ordinaires de l’hospitalité d’Édimbourg, un hôte bienvenu dans plusieurs familles respectables ; mais aucune d’elles ne pouvait me dédommager de la perte que j’avais faite de mon meilleur ami, de mon bienfaiteur. J’avais besoin de quelque chose de mieux que les plaisirs imparfaits de ces simples liaisons de société. Mais où chercher cet objet de mes désirs ? Était-ce parmi les restes dispersés de ceux qui avaient été jadis mes compagnons de dissipation et de folie ?

Les amis joyeux ne sont plus ;
La beauté n’a plus sa jeunesse…

D’ailleurs, les motifs de ces liaisons avaient cessé d’exister, et ceux de mes anciens amis qui étaient encore de ce monde, menaient une vie bien différente de la mienne.

Les uns, devenus avares, étaient aussi avides d’épargner six pence que jadis ils avaient été empressés de prodiguer une guinée… Les autres, devenus cultivateurs, ne pariaient que de leurs troupeaux, et ne fréquentaient plus que des nourrisseurs de bestiaux… Quelques-uns avaient conservé le goût des cartes ; et, quoiqu’ils eussent cessé d’être gros joueurs, ils aimaient mieux jouer petit jeu que de renoncer à cette occupation. J’avais un mépris extrême pour ce dangereux passe-temps. Hélas ! je n’avais que trop connu, dans le temps, cette funeste passion du jeu, passion violente, criminelle, qui agite, qui tourmente et qui, je le conçois, peut exercer un empire terrible sur les âmes ardentes. Mais user sa vie à échanger, autour d’un tapis vert, des morceaux