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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

monarques écossais qui ait passé le firth du Forth[1], habita un palais à Édimbourg, et eut à son service un vaillant homme, dont l’emploi fut de surveiller le croft, c’est-à-dire les terres que l’on cultivait pour la maison du roi : de là son nom de Croft-an-ri, qui veut dire champ du roi. Cet emplacement, quoique couvert maintenant d’habitations, est appelé aujourd’hui Croftangry : il est situé près du palais du souverain. Comme quelques-uns de ceux qui portent cet ancien et respectable nom peuvent concevoir quelque mépris de ce qu’il tire son origine de la culture de la terre, occupation servile dans leur esprit, il est bon qu’ils sachent que nous devons honorer la bêche et la charrue, en considération de notre père Adam, de qui nous descendons tous, et qui fut condamné à cultiver la terre après sa chute et sa désobéissance.

Nous avons aussi des témoignages, tant dans les saintes Écritures que dans l’histoire profane, de l’honneur dans lequel fut tenue la profession du labourage dans les temps anciens, où l’on trouve des exemples de prophètes et de grands capitaines, qui, tirés de la charrue pour être élevés au rang de défenseurs de la patrie, comme Cincinnatus et d’autres, surent combattre l’ennemi commun avec autant de courage et de valeur que leur bras avait mis d’ardeur à tenir le manche de la charrue, et à conduire les chevaux et les bœufs.

Nous connaissons de même plusieurs familles respectables qui aujourd’hui font partie de notre noblesse écossaise, et qui, parvenues à de plus hautes dignités que cette maison de Croftangry, ne rougissent nullement de porter sur leur écusson et dans leurs insignes les outils et les instruments que leurs aïeux employèrent à labourer la terre, ou, comme dit d’une manière plus éloquente le poète Virgile, à dompter le sol. Il n’y a aucun doute que cette ancienne maison de Croftangry, tant qu’elle continua d’être appelée de ce nom, produisit un grand nombre de grands citoyens, dont je m’abstiendrai de citer les noms pour le moment, mon dessein étant, si Dieu me conserve la vie pour remplir la pieuse tâche que je me suis imposée, de reprendre la première partie de ma narration relativement à la maison de Croftangry, lorsque je pourrai joindre les preuves et les témoignages authentiques aux faits que j’alléguerai ; car les discours et les écrits, lorsqu’ils ne sont pas appuyés par des preuves, sont comme le grain semé sur des

  1. Embouchure de la rivière de Forth, près d’Édimbourg, dans l’océan Germanique ; elle a cinq ou six lieues de largeur entre Leith et Kirkcaldy. a. m.