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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

dans mon secrétaire ; ce que je fis, avec la ferme résolution de ne jamais y jeter les yeux.

Mais je ne sais comment il se fit que le sujet de cet ouvrage excita dans mon cœur un intérêt auquel je ne me serais jamais attendu, et, à plusieurs reprises, je me surpris engagé dans l’énumération descriptive des fermes qui avaient cessé de m’appartenir, et des limites qui renfermaient maintenant les propriétés d’autrui. L’amour du natale solum, si toutefois Swift a eu raison de traduire ces mots par « biens de famille, » commença à s’éveiller dans mon âme : les souvenirs de ma jeunesse n’y ajoutaient guère que ce qui avait quelque rapport aux divertissements de la chasse. En effet, la dissipation est peu faite pour inspirer le goût des beautés de la simple nature, encore moins pour disposer l’ame à ces idées sentimentales qui nous attachent insensiblement aux objets inanimés qui nous entourent.

Je m’étais fort peu occupé de mes biens, tandis que j’en jouissais et que je les dilapidais, et je n’y songeais guère alors que comme à un matériel grossier sur lequel une certaine race inférieure, appelée fermiers, serait tenue de me payer, sur un pied plus élevé qu’elle ne le faisait réellement, un droit appelé rentes ou fermage, qui était destiné à fournir à mes dépenses. Telle était la manière générale dont j’envisageais cet objet. Je me souvenais que Garval-Hil était un terrain montagneux, couvert de pâturages, excellent pour élever les jeunes poulains et les habituer au galop ; que Minion-Burn fournissait les plus belles truites jaunes de tout le pays ; que Seggy-Cleugh était sans égal pour les bécasses ; que les marais de Ben-Gibbert étaient dans l’endroit le plus favorable pour la chasse des oiseaux aquatiques, et que les eaux limpides de la fontaine bouillonnante de Harper’s Well étaient la meilleure recette et le breuvage le plus efficace que je pusse prendre le matin, quand les chasseurs de renard du voisinage m’avaient conduit plus loin que de raison. Ces souvenirs rappelaient par degrés des tableaux dont je savais maintenant apprécier le mérite. Je revoyais les landes immenses s’élevant onduleusement en collines nues et arides, retraites solitaires, dont le silence n’était troublé que par le sifflement du pluvier ou le chant du coq de bruyère. Je contemplais en idée les sauvages ravins descendant le long des flancs des montagnes, et tout remplis de bois plantés par la nature. Suivant d’abord le sentier tracé par les bergers et par les enfants qui vont cueillir la noisette, ces gorges s’élargis-