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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

sur une plage lointaine : dès lors, ce goût devint peu à peu une passion, qui, agissant graduellement dans l’intérieur de mon ame, y puisait continuellement des trésors que ma mémoire avait involontairement tenus cachés, et qu’elle s’empressa de réunir et de compléter, dès qu’une fois elle fut mise en activité.

Dès lors, je regrettai plus amèrement que jamais d’avoir perdu par ma faute des biens dont le soin et l’amélioration, j’en suis convaincu maintenant, auraient été l’occupation la plus agréable d’un temps que je n’employais qu’à rêver aux malheurs passés et à me repentir inutilement de mes fautes. « Si seulement une ferme, quelque petite qu’elle fût, m’était restée, disais-je un jour à M. Fairscribe, il y aurait un lieu que du moins je pourrais appeler ma maison, et un genre d’occupation que je pourrais nommer mes affaires.

« Un pareil lieu aurait pu vous être conservé, répondit Fairscribe ; quant à moi, mon avis était de garder le manoir, ses dépendances, et quelques arpents des anciennes terres de la famille ; mais M. ***, et vous, vous fûtes d’avis alors que l’argent était préférable.

« C’est vrai, ce n’est que trop vrai, mon digne ami, repris-je ; j’étais un fou à cette époque, et je ne pus songer à m’abaisser jusqu’à être Glentanner avec deux ou trois cents livres par an, après avoir été Glentanner avec deux ou trois mille livres. J’étais enfin un laird de nos campagnes, hautain, sot, ignorant, dissipé, ruiné ; et, croyant mon importance imaginaire perdue sans retour, je m’inquiétais peu d’être promptement et complètement débarrassé de tout ce qui pouvait la rappeler à ma mémoire ou à celle des autres.

« Il paraît maintenant que vous êtes d’une opinion différente, dit Fairscribe. Oh ! la fortune est habile à nous prendre au mot en pareil cas ; mais je crois qu’ici elle vous permet de revenir sur ce que vous avez fait.

— « Comment entendez-vous cela, mon digne ami ?

— « Hum ! rien ne porte malheur comme de parler d’une chose sans être bien sûr de son fait. Il faut que je parcoure une liasse de journaux ; mais demain matin vous aurez de mes nouvelles. Allons, servez-vous ; je vous ai vu jadis mieux remplir votre verre.

« Et vous me verrez encore, repris-je en me versant le reste de notre bouteille de Bordeaux ; le vin est bon, il faut que notre toast lui réponde. À la paix de votre foyer, mon vénérable ami !