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CHAPITRE III.

convient à des êtres collectifs désignés sous le nom de voyageurs des messageries du Nord.

Digne monsieur Piper, le meilleur des entrepreneurs qui aient jamais fourni quatre rosses rétives aux besoins du public, je vous rends grâces quand je me mets en voyage : les voitures propres et commodes de votre établissement rendent le trajet, depuis Johnnie-Groat’s-House[1] jusqu’à Ladykirk et Cornhill-Bridge[2], sûr, agréable et peu coûteux. Mais, monsieur Piper, vous qui êtes un profond arithméticien, ne vous est-il jamais arrivé de calculer combien de têtes de fous, dont il serait peut-être sorti une ou deux idées dans le cours d’une année, si elles avaient pu rester en repos, sont frappées de stérilité en cahotant à droite et à gauche dans vos chars volants ? Combien d’honnêtes campagnards deviennent des rustres grossiers après avoir assisté à l’un de ces dîners qui précèdent les expositions de bestiaux dans la capitale, où, sans votre moyen de transport, ils n’auraient jamais pu se rendre ? Combien de modestes ministres de village reviennent déclamateurs et censeurs outrés, sous le prétexte d’importer d’Édimbourg le goût le plus nouveau ! Et comment votre conscience répondra-t-elle un jour au reproche d’avoir transporté tant de simples et innocentes filles à la foire métropolitaine de la vanité, pour y troquer leur modestie contre la frivolité et la coquetterie ?

Considérez aussi à quel taux vous rabaissez l’intelligence humaine. Je ne crois pas que vos habitués aient des idées beaucoup plus étendues que vos chevaux. Ils connaissent la route, comme le postillon anglais, et ils ne savent rien au delà. Ils datent de la mort de John Ostler[3], comme les messagers de Gadshill ; la succession des conducteurs de diligences forme une dynastie pour eux ; les postillons sont les ministres d’état ; et l’accident d’une voiture versée est pour eux une plus grande catastrophe qu’un changement de ministère. Toute leur occupation pendant le voyage est d’épargner le temps et de voir si la voiture peut arriver à l’heure. N’est-ce pas dégrader l’intelligence humaine de la manière la plus misérable ? Suivez mon avis, mon bon monsieur Piper, et soyez assez désintéressé pour faire en sorte que, deux ou

  1. Extrémité septentrionale de l’Écosse, sur la mer du Nord. a. m.
  2. Extrémité méridionale de l’Écosse, Cornhill-Bridge est proprement un pont sur la Tweed ; Ladykirk est une petite ville d’Écosse. a. m.
  3. Ostler, mot qui veut dire palefrenier. a. m.