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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

vingt ans auparavant, parcourait ce même chemin, monté sur un cheval qui avait remporté le prix d’une course, ou commodément assis dans sa chaise de poste attelée de quatre chevaux, et fumant tranquillement son cigare. Mon esprit, mes idées n’avaient pas moins changé que ma situation. Aux jours d’une jeunesse inconsidérée, ma passion dominante était un désir extravagant de me faire remarquer dans tout ce que j’entreprenais : ainsi, je mettais de l’amour-propre à boire autant de bouteilles de vin que…, à être aussi bon connaisseur en chevaux que…, à avoir un habit coupé sur le modèle de… Tels étaient tes dieux, ô Israël ! Maintenant, je n’étais plus que le simple spectateur de ces folies et de ces vanités qui, tour à tour, excitaient dans mon ame des émotions de colère ou de pitié. Je sentais combien mon opinion était peu de chose aux yeux des hommes engagés dans la carrière turbulente du monde ; mais néanmoins j’usais du droit d’en avoir une, et je l’exerçais avec ce zèle, cette ardeur d’un vieux chicaneur qui, retiré du barreau, veut se mêler des affaires de ses voisins, et sème autour de lui des avis dont personne n’a besoin ; le tout, uniquement pour faire claquer son fouet.

Au milieu de ces réflexions, j’atteignis le sommet d’une colline d’où j’espérais découvrir Glentanner, séjour modeste, mais commode, dont les murs étaient couverts des espaliers les plus productifs du pays et abrités contre les vents et les orages par un épais et antique bois qui couronnait la montagne voisine. La maison avait disparu ; la plus grande partie du bois était abattue ; et à la place du manoir seigneurial, entouré de ses vieux arbres héréditaires, s’élevait maintenant Castle-Treddles, énorme masse de pierres de taille formant un carré d’une nudité absolue. À peine était-il entouré de quelques misérables arbustes exotiques, languissants et flétris ; à peine devant la porte voyait-on s’étendre une pièce de gazon appauvri : au lieu de se reposer sur un épais tapis de verdure émaillé de marguerites, de renoncules et de primevères, l’œil n’y trouvait qu’une étendue nue et monotone, bien ratissée, bien nivelée, il est vrai, mais où toute végétation avait été détruite par la sécheresse, et où le sol, conservant sa couleur naturelle, semblait presque aussi noir que s’il avait été retourné par la bêche.

La maison était un vaste édifice pour lequel on réclamait le titre de château, uniquement parce que chaque fenêtre de la façade formait une ogive gothique fort pointue (construction tout à fait