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ANNE DE GEIERSTEIN


OU


LA FILLE DU BROUILLARD[1].

CHAPITRE PREMIER.

LES DEUX VOYAGEURS.

Les brouillards bouillonnent autour des glaciers ; des nuages s’élèvent sous moi en tourbillons blancs et sulfureux, comme l’écume de l’Océan irrité… la tête me tourne.
Lord Byron. Manfred.

Un espace de quatre siècles s’est à peu près écoulé depuis que la série des événements qui sont rapportés dans les chapitres qu’on va lire se passa sur le continent. Les chroniques relatives au fond de cette histoire, et que l’on pourrait consulter en preuve de sa véracité, ont été long-temps conservées dans la superbe bibliothèque du monastère de Saint-Gall ; mais elles ont péri avec la plupart des trésors littéraires de cet établissement, lorsque le couvent fut pillé par les armées révolutionnaires de France. La date historique des faits doit être fixée au milieu du quinzième siècle, cette importante époque où la chevalerie brillait encore d’un dernier éclat que devait bientôt totalement éclipser, dans certaines contrées, l’établissement d’institutions libres ; dans d’autres, ce pouvoir arbitraire qui vraisemblablement rendait inutile l’intervention de ces redresseurs des torts dont l’unique mandat d’autorité était le glaive.

Au milieu de la lumière générale qui avait récemment brillé sur l’Europe, la France, la Bourgogne et l’Italie, mais plus spécialement l’Autriche, avaient commencé à connaître le caractère d’un peuple dont l’existence même avait été jusqu’alors presque ignorée. Il est vrai que les habitants de ces contrées voisines des Alpes, barrière immense, savaient bien que, malgré leur apparence de misère et de désolation, les vallées profondes qui serpentaient autour de ces montagnes gigantesques nourrissaient une race de chasseurs et de bergers, hommes qui, vivant dans un état de simplicité primitive, tiraient du sol, par de rudes travaux, une chétive subsistance,

  1. La première traduction de ce roman a été publiée sous le titre de Charles le Téméraire. a. m.