Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/43

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privilège et son devoir de se faire lui-même justice. Mais, Henri, mon garçon, tu es blâmable de prendre ses paroles tant à cœur. Je t’ai vu assez hardi avec d’autres filles, pourquoi rester ainsi bouche close et langue liée avec elle ? — Parce qu’elle ne ressemble guère aux autres filles, père Glover ; parce qu’elle est non-seulement plus belle, mais plus sage, plus noble, plus sainte, et me semble formée d’une argile moins grossière que ceux qui l’approchent. Je puis tenir la tête assez haute avec le reste des fillettes autour du mai ; mais je ne sais pourquoi, quand j’approche de Catherine, je me trouve une créature mondaine, épaisse, féroce, digne à peine de la regarder, moins encore de contredire les préceptes de conduite qu’elle veut bien me dicter. — Vous êtes un imprudent acheteur, Henri Smith, répondit Simon, et vous estimez trop cher les marchandises que vous voulez acheter. Catherine est une bonne enfant et ma fille ; mais si vous en faites une guenon obstinée par votre timidité et vos flatteries, ni vous ni moi ne verrons nos vœux s’accomplir. — J’en ai souvent peur, mon bon père ; car je songe combien peu je mérite Catherine. — Songe à un bout de fil ! songe à moi, Smith, mon ami, à Catherine et à moi. Songe comment la pauvre petite est assiégée du matin au soir ; et par quelle espèce de gens, lors même que les fenêtres sont fermées et les portes closes. Nous avons été aujourd’hui accostés par un jeune seigneur trop puissant pour être nommé, oui, et il n’a point caché son déplaisir de ce que je n’ai pas voulu lui permettre de conter fleurettes à ma fille dans l’église même pendant que le prêtre officiait. Il y en a d’autres encore moins raisonnables. Je souhaiterais parfois que Catherine fût un peu moins jolie, et qu’elle ne s’attirât point cette dangereuse espèce d’admiration ; ou un peu moins sainte, et qu’elle consentît à devenir une honnête épouse, heureuse avec le vigoureux Henri Smith, qui pourrait défendre sa femme contre tout rejeton de la chevalerie à la cour d’Écosse. — Et si je ne la défendais pas, » dit Henri en avançant un bras et une main qui, pour les os et les muscles, auraient pu appartenir à un géant, « je ne voudrais plus de ma vie frapper un marteau sur une enclume. Oui, si la chose arrivait, ma jolie Catherine verrait qu’il n’est pas mauvais qu’un homme puisse aviser à se défendre. Mais je crois qu’elle regarde le monde entier comme une grande cathédrale, et que tous les habitants de ce monde doivent se comporter comme s’ils assistaient à une messe éternelle. — En vérité, elle exerce une étrange