Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/71

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min, raconter qu’elles avaient été reconduites jusque chez elles par des jeunes gens qui leur donnaient la main pour descendre de leur chaise, avec une politesse que rendaient tout à fait extraordinaire leurs habits d’artisans et de journaliers[1]. Les conspirateurs, comme jadis les assassins du cardinal Beatoun, semblaient persuadés que l’œuvre à laquelle ils travaillaient était un jugement du ciel, et que, bien qu’il ne fût pas sanctionné par les autorités ordinaires, il devait être exécuté avec ordre et solennité.

Tandis que les détachements exerçaient une surveillance que ni la crainte ni la curiosité ne pouvaient leur faire négliger, protégée par les corps principaux, postés aux deux bouts de la rue, une troupe d’élite frappait à coups redoublés à la porte de la prison, demandant qu’on la lui ouvrît. Personne ne répondit, car le geôlier avait eu la précaution de s’enfuir en emportant les clefs dès le commencement de l’émeute, et il était impossible de le retrouver. On se mit alors en devoir d’attaquer la porte avec des marteaux de forge, des coins de fer et des socs de charrue apportés exprès ; mais on reconnut enfin qu’on ne pourrait l’entamer, car elle était en grosses planches de chêne doubles, attachées les unes en long, les autres en travers par des clous à large tête, trop solide enfin pour qu’il fût possible de la forcer sans y passer beaucoup de temps. Néanmoins les insurgés étaient résolus à entrer : ils se relevaient successivement, car peu de personnes pouvaient travailler ensemble, et s’épuisaient de fatigue sans obtenir un grand résultat. Butler avait été conduit près de cette scène principale de l’action, si près même qu’il était assourdi par le bruit continuel des pesants marteaux contre les battants de la porte. Il commença à espérer que la populace renoncerait à une entreprise qui paraissait désespérée, ou qu’une force suffisante ne tarderait pas à venir la disperser. Il y eut même un moment où cette espérance fut bien près de se réaliser.

Les magistrats, ayant réuni leurs officiers de police et aidés de plusieurs citoyens qui consentaient à se sacrifier pour la tranquillité publique, sortirent enfin de la taverne où ils avaient tenu leur séance, et se dirigèrent vers le lieu du danger. Leurs officiers les précédaient portant des torches et des flambeaux, un héraut

  1. Une proche parente de l’auteur racontait souvent qu’ayant été arrêtée par cette populace ameutée, elle fut escortée chez elle de la manière qu’on vient de décrire. En touchant le seuil de sa maison, un de ses gardes, qui lui parut être un garçon boulanger, lui donna la main pour descendre de sa chaise, et prit congé d’elle avec une aisance qu’eût à peine montrée un homme du haut rang.