Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 5, 1838.djvu/67

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bardé de fer, comme ceux d’autrefois, et ne portera pas de bottes à talons, selon la mode actuelle à Bond-street ; que mes demoiselles n’auront pas une mante de pourpre, comme la Lady Alice d’une vieille ballade, et ne seront pas réduites à la nudité primitive d’une fashionable moderne dans un rout[1]. L’époque que j’ai choisie doit faire penser au critique intelligent que j’ai eu pour but de peindre plutôt des hommes que des mœurs. Pour être intéressante, une histoire de mœurs doit être puisée dans un temps assez éloigné de nous pour qu’elles soient devenues vénérables, ou offrir un miroir vivant des scènes qui se passent journellement sous nos yeux, et qui nous intéressent par leur nouveauté.

Ainsi je pense que la cotte de mailles de nos aïeux et la pelisse à triple fourrure de nos modernes élégants peuvent être également propres à parer un personnage fictif ; mais quel est l’auteur, qui, voulant que le vêtement de son héros fasse de l’effet, lui donnera l’habit de cour du règne de George II, cet habit sans collet, à larges manches et à poches basses ? On en peut dire autant et avec la même vérité des salles gothiques qui, avec leurs vitraux sombres et peints, leurs voûtes qu’obscurcit leur élévation, et leurs tables massives de chêne couvertes de hures de sangliers et de romarin, de faisans et de paons, de grues et de jeunes cygnes, sont d’un effet excellent pour une description romanesque. On peut aussi tirer un grand parti d’une fête moderne, à la manière de celles que l’on décrit journellement dans la gazette appelée Miroir de la Mode. Si on compare l’une et l’autre de ces descriptions avec la froide splendeur d’un repas donné il y a soixante ans, on verra l’avantage immense que le peintre des mœurs anciennes ou modernes a sur celui qui dépeint celles de la précédente génération.

Convaincu donc des désavantages de mon sujet pour les descriptions, j’ai cherché à les éviter autant que possible, et je me suis attaché surtout à peindre les caractères et les passions de mes personnages ; ces passions communes à toutes les classes de la société, ces passions qui agitent également le cœur humain sous le corselet du quinzième siècle, sous les habits à brocard du dix-huitième, ou sous le frac bleu ou le blanc gilet de basin de nos jours[2]. Sans doute la différence des mœurs et des lois prête

  1. C’est ainsi qu’on désigne une soirée nombreuse dans quelque riche maison anglaise. a. m.
  2. « Hélas ! dit Walter Scott, cette mode respectable et de bon ton pour un gentleman en 1805 ou environ, est maintenant aussi vieille que l’auteur de Waverley lui-même. Le lecteur fashionable remplacera ce costume par un gilet brodé en velours pourpre et en soie, et par un habit de la couleur qui lui plaira.