Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/103

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que je n’ai jamais osé ouvrir, vous aurez quelque idée de ce qui arriva. Je parle de mes pensées ; mes actions, grand Dieu ! ne sont pas si criminelles. Il y avait un autre cadet qui briguait la première commission vacante. Il appela mon attention sur ce qu’il m’amena à nommer coquetterie de la part de ma femme envers ce jeune homme. Sophie était vertueuse, mais fière de sa vertu ; et irritée de ma jalousie, elle fut assez imprudente pour encourager et redoubler une intimité qu’elle voyait que je désapprouvais et que je regardais avec soupçon. Il existait entre Brown et moi une sorte de haine cachée. Il fit un ou deux efforts pour détruire mes préjugés ; mais prévenu comme je l’étais, je leur donnai un motif criminel et les repoussai avec dédain.

« Je souffre toutes les douleurs de la torture en vous écrivant cette lettre. Néanmoins, je suis disposé à aller jusqu’au bout, comme si ma résignation pouvait faire disparaître la catastrophe qui a depuis si long-temps empoisonné ma vie. Mais il faut continuer et en peu de mots.

« Quoiqu’elle ne fût plus de la première jeunesse, ma femme était encore très belle, et, il faut que je le dise pour ma justification, elle aimait à passer pour telle. Je répète ce que j’ai déjà dit, je n’ai jamais douté un instant de sa vertu ; mais poussé par les insinuations artificieuses d’Archer, je pensais qu’elle se souciait peu de la paix de mon cœur, et que le jeune Brown n’avait ces attentions que pour me provoquer et me braver. Peut-être me considérait-il, de son côté, comme un aristocrate oppresseur, qui profitait de son rang dans la société et dans l’armée, pour tourmenter ceux que les circonstances avaient placés sous ses ordres ; et s’il découvrit ma sotte jalousie, il voulut quelquefois, en m’inquiétant sur ce point, se venger des petites vexations auxquelles mon pouvoir le soumettait. Un ami prudent chercha à me faire envisager ces assiduités sous un jour plus favorable et moins offensif ; il pensait que ma fille Julia en était l’objet, quoiqu’elles pussent présentement s’adresser à sa mère pour gagner son influence. C’eût une audace peu flatteuse et même fort désagréable pour moi, de la part d’un jeune homme sans naissance et sans nom ; mais je ne m’en serais pas offensé comme je le fus par mes soupçons. Quoi qu’il en soit, je considérai mon offense comme mortelle.

« Une seule étincelle suffit pour allumer un incendie, lorsque rien ne s’y oppose. Je ne songeais nullement à mon insulte, lorsqu’une bagatelle, dans une partie de jeu, amena de gros mots et un