Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/138

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est excellente à mettre en pratique ; mais ces protestations si souvent répétées me rappellent la dépendance servile de nos esclaves noirs des Indes orientales. En un mot, Julia, je sais que vous aimez la société, et je suis dans l’intention d’inviter une jeune personne, la fille d’un de mes amis qui vient de mourir, à venir passer quelques mois avec nous. — Pas de gouvernante, pour l’amour du ciel, papa ! » m’écriai-je sans songer à ce que je disais, la crainte l’emportant sur la prudence.

« Il n’est pas question de gouvernante, miss Mannering, me répondit-il un peu sévèrement. C’est une jeune dame élevée à l’école de l’adversité, et dont les excellents exemples peuvent vous apprendre, je vous l’assure, à vous gouverner vous-même. »

« Cette observation m’embarrassa un moment. Enfin je repris ainsi :

« Cette jeune dame est Écossaise ? — Oui. — A-t-elle beaucoup l’accent du pays ? — Au diable ! répondit mon père en s’emportant ; pensez-vous que je tienne à ce qu’elle prononce a pour ai, i pour aye ? Je parle sérieusement, Julia. Vous êtes portée à l’amitié, c’est-à-dire à former des liaisons que vous nommez ainsi. (N’était-ce pas bien dur à entendre, Mathilde ?) Eh bien, je veux vous faire acquérir une amie digne de ce titre. J’ai donc résolu d’inviter cette jeune dame à venir passer quelques mois au sein de ma famille, et j’espère que vous aurez pour elle tous les égards dus au malheur et à la vertu. — Certainement, mon père. Et ma future amie a-t-elle les cheveux rouges ? »

« Il me lança un regard sévère. Vous me direz peut-être que je le méritais ; mais je ne sais quel malin esprit me souffle si souvent de ces questions déplacées.

« Elle vous est supérieure, Julia, en beauté physique autant que par sa prudence et son affection pour ses amis. — Mon Dieu, papa, pensez-vous que celle supériorité soit une bonne recommandation ? Allons, je vois que vous allez prendre trop sérieusement mes plaisanteries : quelle que soit cette jeune dame, l’intérêt qu’elle vous inspire lui assure tous mes égards. À propos, a-t-elle quelqu’un pour la servir ? Autrement il faudra y songer. — N’o… no… non, elle est seule… excepté pourtant le chapelain qui demeurait chez son père : c’est un très brave homme et j’espère qu’il ne la quittera pas. — Un chapelain ! papa… Dieu nous bénisse ! — Oui, miss Mannering, un chapelain. Qu’est-ce que ce mot a d’étonnant ? N’avions-nous pas un chapelain à la maison lorsque nous étions