Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/141

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d’Ellangowan avaient quelques rapports mystérieux, et il éprouvait un désir inexplicable de se voir propriétaire de cette terrasse d’où il avait lu dans les astres l’événement extraordinaire arrivé à l’unique héritier mâle du nom de Bertram, événement qui correspondait d’une manière si surprenante avec les malheurs d’une épouse chérie toujours présente à sa mémoire. D’ailleurs, quand une fois son esprit fut bien pénétré de cette idée, il ne put sans répugnance supporter la pensée de voir ses plans dérangés par un misérable tel que Glossin. Ainsi, l’amour-propre et l’imagination agirent de concert pour confirmer sa résolution d’acheter ce domaine dès qu’il le pourrait.

Rendons cependant justice à Mannering : le désir de soulager le malheur avait également influé sur sa détermination. Il savait quel avantage sa fille pouvait retirer de la société de Lucy Bertram, sur la prudence et le jugement de laquelle il se reposait entièrement ; car Mac-Morlan lui avait confié, sous le sceau du secret, la manière dont elle s’était conduite à l’égard du jeune Hazlewood. Lui proposer de venir se fixer au sein de sa famille, en s’éloignant des lieux où elle avait passé son enfance et du petit nombre de ses amis, eût été peu délicat ; mais à Woodbourne il pouvait engager Lucy sans difficulté à venir passer quelque temps auprès de sa fille, sans qu’une telle proposition eût rien d’humiliant pour elle. Après quelques hésitations, miss Bertram accepta l’invitation de venir passer quelques semaines avec miss Mannering. Malgré toute la délicatesse des procédés du colonel, elle avait trop d’esprit pour ne pas s’apercevoir qu’en réalité son intention était de lui offrir un asile et sa protection. Vers ce même temps elle reçut une lettre de mistress Bertram, la parente à laquelle elle avait écrit : cette dame lui envoyait de l’argent, lui conseillait de se mettre en pension chez quelque famille honnête, soit à Kippletringan, soit dans les environs, et lui insinuait que, malgré la faiblesse de ses moyens pécuniaires, elle s’était privée d’une partie de son nécessaire pour ne pas laisser sa parente dans le besoin. Miss Bertram, en lisant cette lettre aussi froide que peu consolante, ne put s’empêcher de répandre quelques larmes : elle se rappela que cette bonne parente avait demeuré quelques années à Ellangowan, du vivant de sa mère, et y serait probablement restée jusqu’à la mort du propriétaire si elle n’avait été assez heureuse pour recueillir un héritage de 400 livres de rente, ce qui lui avait permis de quitter la maison où elle avait trouvé une hospitalité qui ne se serait jamais démentie. Lucy fut