Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je veux vous le faire connaître. Il peint assez bien, dessine parfaitement ; sa conversation est agréable, et il est d’une bonne force sur la flûte. Eh bien ! malgré tous ces avantages, c’est un jeune homme modeste et sans prétentions. À notre retour, j’appris que l’ennemi avait fait une reconnaissance. Mon hôte me dit que M. Mervyn était venu chez lui avec un autre gentleman.

« Quelle espèce d’homme est cet étranger, mon hôte ? — Un homme qui a la tournure militaire, l’air sombre, qu’on appelait le colonel. Le squire Mervyn m’interrogea aussi sévèrement que si j’eusse été aux assises. Je me doutais bien de quelque chose, monsieur Dawson (c’est mon nom supposé), mais je ne lui ai rien dit de vos courses et de vos promenades sur le lac au milieu de la nuit. Non, vraiment. S’il est questionneur, je suis discret, moi. Il me demande sans cesse le nom de ceux qui logent chez moi, s’ils vont sur le lac près de son château ; mais Joe Hodges est aussi fin que lui. »

« Vous jugez que ce que j’avais de mieux à faire était de payer le mémoire de l’honnête Joe Hodges, et de partir ; car je suis bien éloigné d’en faire mon confident. D’ailleurs je savais déjà que notre ci-devant colonel était en pleine retraite sur l’Écosse, emmenant la pauvre Julia avec lui. Je fus informé par ceux qui conduisaient le bagage, qu’il allait prendre ses quartiers d’hiver dans un endroit appelé Woodbourne, dans le comté de… Il est sur ses gardes maintenant, aussi je le laisserai entrer dans ses retranchements sans le poursuivre. Mais après cela, mon colonel, vous à qui je dois tant de reconnaissance, gardez-vous bien.

« Je vous proteste, Delaserre, que je pense souvent qu’un peu d’esprit de contradiction stimule mon amour. Je crois que j’éprouverais plus de plaisir à forcer cet homme orgueilleux et méprisant à entendre nommer sa fille mistress Brown, que je n’en aurais en l’épousant avec son consentement ; oui, quand même il m’assurerait toute sa fortune, quand même encore le roi m’accorderait la permission de prendre le nom et les armes de Mannering. Une seule circonstance me rend circonspect : Julia est jeune et romanesque ; je ne voudrais pas l’entraîner sciemment dans une démarche qui plus tard exciterait peut-être ses regrets. Non, je ne pourrais supporter qu’elle me reprochât, ne fût-ce que dans son regard, d’avoir ruiné sa fortune ; qu’elle pût me dire comme plus d’une femme l’a dit à son mari, que si je lui avais laissé le temps de réfléchir, elle aurait été plus prudente et s’en serait