Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/153

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trouvée mieux. Non, Delaserre : cette pensée m’est insupportable elle m’assiège sans cesse. Je n’ignore pas qu’à l’âge de Julia et avec son caractère, une jeune fille n’a point d’idée exacte et précise de la valeur du sacrifice qu’elle ferait. Elle ne connaît des privations que leur nom ; et si l’amour dans une ferme semble devoir lui suffire, c’est une ferme ornée, semblable à celles que décrivent les poètes ou que l’on trouve dans les parcs des gens qui jouissent de douze mille livres sterling de rente. Elle serait mal préparée aux privations de cette véritable chaumière suisse dont nous avons si souvent parlé, et aux difficultés qui nous assailliraient nécessairement avant d’avoir atteint ce port. C’est un point qui mérite réflexion. Quoique la beauté et la tendresse de Julia aient fait sur mon cœur une impression qui ne s’effacera jamais, je veux être certain qu’elle connaîtra bien toute l’étendue du sacrifice qu’elle ferait à mon amour.

« Suis-je trop présomptueux, Delaserre, en me flattant que cette épreuve se terminera favorablement et suivant mes désirs ? Suis-je trop vain, lorsque je suppose que le peu de qualités que je possède, une fortune plus que médiocre et la résolution de consacrer ma vie à son bonheur, peuvent balancer à ses yeux les avantages auxquels elle renoncerait pour moi ? La parure, la richesse, toutes les séductions du grand monde et du bon ton, comme on l’appelle, tout cela l’emportera-t-il sur la perspective du bonheur domestique et la réciprocité d’une affection inaltérable. Je ne dis rien de son père ; ses bonnes et ses mauvaises qualités sont si étrangement mêlées, que les premières sont neutralisées par les dernières ; le regret que Julia éprouverait en se séparant des unes, serait donc bien compensé par le plaisir d’échapper aux autres : la nécessité de cette séparation, suivant moi, n’est qu’une considération secondaire. En attendant, je ne perds pas courage. J’ai rencontré dans ma vie trop d’obstacles et trop de difficultés pour m’aveugler par une folle présomption ; mais je les ai surmontés trop souvent et d’une manière trop merveilleuse pour me laisser abattre.

« Je voudrais que vous vissiez ce pays ; ses sites vous enchanteraient. Ils rappellent souvent à mon souvenir les descriptions animées que vous m’avez faites de votre pays natal. Pour moi ils ont en grande partie le charme de la nouveauté. Quoique né, m’a-t-on dit, dans les montagnes d’Écosse, je n’en ai qu’un souvenir confus ; je me rappelle beaucoup mieux ce que j’éprouvai dans ma jeunesse en voyant les côtes plates de la Zélande, que les objets