Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/16

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L’Égyptienne sur laquelle le caractère de Meg Merrilies est fondé était bien connue vers le milieu du siècle dernier sous le nom de Jeanne Gordon ; elle habitait le village de Kirk Yetholm, dans les monts Cheviot, près la frontière d’Angleterre et d’Écosse. Dans un des premiers numéros du Blackwood’s magazine[1] (vol. 1, p. 54), l’auteur donna de la manière suivante quelques détails sur cette femme remarquable :

« Mon père se rappelait de la vieille Jeanne Gordon de Yetholm, qui avait une grande autorité sur sa tribu. C’était tout-à-fait une Meg Merrilies, et elle possédait à un degré aussi élevé la même fidélité sauvage. Elle avait souvent reçu l’hospitalité dans une ferme du Lochside, près de Yetholm, et s’était soigneusement abstenue de commettre aucun vol sur la propriété du fermier. Mais ses fils, au nombre de neuf, n’eurent pas, il paraît, la même délicatesse, et dérobèrent à leur bienfaiteur hospitalier une truie qui allait mettre bas. Jeanne fut mortifiée de cette conduite ingrate, et elle en eut tant de honte qu’elle quitta le Lochside pendant plusieurs années.

« Au bout d’un certain temps il arriva que le bon fermier du Lochside, par suite de quelque gêne pécuniaire momentanée, fut obligé d’aller à Newcastle chercher de l’argent pour payer son fermage. Il en obtint ; mais à son retour, en traversant les monts Cheviot, il fut surpris par la nuit et s’égara.

« Une lumière qu’il vit briller à travers la fenêtre d’une grange délabrée, reste d’une ancienne ferme, l’engagea à se diriger vers cet abri. Il frappa à la porte, qui lui fut ouverte par Jeanne Gordon : sa taille extraordinaire (car elle avait près de six pieds de haut[2]), ses traits et ses vêtements remarquables, la lui firent reconnaître à l’instant, quoiqu’il ne l’eût pas vue depuis quelques années. Rencontrer une telle femme dans un lieu aussi solitaire, et probablement à une petite distance de son clan, fut une surprise désagréable pour le pauvre fermier, qui portait sur lui une somme dont la perte l’aurait ruiné.

Jeanne, qui le reconnut aussi, poussa un cri de joie. « Eh Dieu ! le fermier du Lochside ! Descendez de cheval ; allons, pied à terre : vous n’irez pas plus loin cette nuit, étant si près de la maison d’une amie. » Le fermier fut obligé de descendre de cheval et

  1. Nom d’une Revue anglaise publiée chaque mois à Édimbourg, et dans un sens ultra-tory. a. m.
  2. Six pieds anglais font cinq pieds cinq pouces de France. a. m.