Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/201

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vous-même, et c’est à quoi je pense. Je ne suis pas folle, quoique j’en aie vu assez pour le devenir ; je ne suis ni folle, ni radoteuse, ni ivre. Je sais bien ce que je demande. Je sais aussi que la volonté de Dieu a été de vous préserver dans d’étranges dangers, et que je suis l’instrument destiné à vous mettre en possession de la demeure de vos pères. Ainsi donc, donnez-moi votre parole, et rappelez-vous que cette nuit vous m’avez dû la vie. »

« Assurément, pensa Brown, il y a quelque chose d’étrange dans sa conduite, mais c’est plutôt de l’exaltation que de la folie. — Eh bien, la mère, puisque vous me demandez une chose si peu difficile, je vous engage ma parole ; j’aurai du moins l’occasion de vous rendre votre argent avec intérêts. Vous êtes une créancière d’une espèce peu commune, sans doute ; mais… — Partez, partez ! dit-elle en agitant sa main. Ne pensez pas à l’or, il vous appartient ; mais rappelez-vous votre promesse, et, je vous le recommande, ne me suivez pas, ne me regardez même pas m’en aller. » À ces mots, elle descendit le ravin avec une grande agilité, entraînant dans sa course des débris de glace et des monceaux de neige qui roulaient derrière elle.

Malgré sa défense, Brown essaya de gagner un endroit d’où il pût, sans être aperçu, voir dans le vallon au-dessous de lui, et ce ne fut pas sans difficulté (car on doit s’imaginer combien la précaution était nécessaire) qu’il y réussit. Un quartier de rocher en saillie qui s’élevait brusquement au milieu des arbres, lui offrit son abri. S’agenouillant dans la neige, et avançant la tête avec précaution, il put voir, comme il s’y attendait, la compagnie de la nuit précédente : elle était alors composée de deux ou trois hommes de plus. Ils avaient balayé la neige au pied du rocher, et creusé une fosse profonde autour de laquelle ils se tenaient, y descendant alors, enveloppé dans une toile grise, quelque chose que Brown reconnut pour être le corps qu’il avait vu ensevelir la veille. Ils restèrent silencieux pendant une demi-minute, comme s’ils eussent donné quelques regrets à la perte de leur camarade. Mais si tel était leur sentiment, ils ne furent pas long-temps sous son influence : tous se mirent en devoir de remplir la fosse ; et Brown, voyant que cette opération avançait, pensa qu’il serait mieux de suivre le conseil de l’Égyptienne. Il se mit donc à marcher aussi vite qu’il le put, et gagna bientôt la plantation qui était devant lui.

Son premier soin, en y arrivant, fut d’examiner la bourse de l’Égyptienne. Il l’avait acceptée sans hésitation, quoique avec un