Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/212

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loin de prévoir que j’aurais à vous faire le récit de pareils événements quelques jours plus tard ! Être témoin d’une scène d’horreur, ou en lire une description, sont deux choses aussi différentes, ma chère amie, que d’être suspendue au bord d’un précipice, se tenant à un faible arbrisseau à demi déraciné, ou d’admirer ce même précipice dans un paysage de Salvator. Mais je veux procéder avec ordre dans ma narration, dont la première partie est passablement effrayante, quoiqu’elle n’ait aucun rapport avec mes sentiments secrets.

« Il faut que vous sachiez que ce pays est très avorable au commerce d’une bande d’hommes déterminés de l’île de Man, située en face à peu de distance. Ces contrebandiers sont nombreux, résolus, formidables, et sont devenus, à quelques époques, la terreur du voisinage, quand on a voulu mettre des obstacles à leur trafic. Les autorités locales, par timidité ou par des motifs plus blâmables encore, négligent de les poursuivre, et l’impunité les a rendus plus audacieux et plus entreprenants. Dans cet état de choses, vous croiriez que mon père, étranger au pays, n’y étant revêtu d’aucune autorité, n’avait qu’à se tenir tranquille. Mais il faut reconnaître que, comme il le dit lui-même, il est né quand la planète de Mars était à son apogée, et que le tumulte et le carnage viennent le trouver dans les lieux les plus tranquilles et au milieu même d’une vie toute pacifique.

« Lundi dernier, sur les onze heures du matin, Hazlewood et mon père se disposaient à partir pour un petit lac à trois milles de distance, pour y chasser des canards sauvages ; Lucy et moi nous arrangions nos plans de travail et d’étude pour la journée, quand nous entendîmes un bruit de chevaux qui s’avançaient au grand galop dans l’avenue. La terre était durcie par une gelée très forte, ce qui rendait le bruit de leurs pas plus distinct et plus retentissant. Dans le même instant deux ou trois cavaliers armés, et conduisant en laisse chacun un cheval chargé de bagage, parurent sur l’esplanade de gazon, et sans suivre le chemin qui fait un petit détour, ils se dirigèrent droit vers la porte de la maison. Ils paraissaient extrêmement alarmés, en désordre, et à chaque instant regardaient derrière eux, comme des gens qui craignent une vive et redoutable poursuite. Mon père et Hazlewood coururent à la porte pour leur demander qui ils étaient et ce qu’ils voulaient. Ils répondirent qu’ils étaient des officiers de la douane ; qu’ils avaient saisi ces chevaux chargés de marchandises de contrebande, à trois