Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/283

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l’invitation de partir ; quand il parla de louer la maison immédiatement, Dinmont se leva, et étourdit l’assemblée par cette brusque question : « Et que va devenir cette pauvre fille, Jenny Gibson ? Quand il s’agissait de partager la succession, nous étions presque tous de la famille ; en bien ! ne pouvons-nous pas, entre nous, faire quelque chose pour elle ? »

Cette proposition produisit sur beaucoup de personnes un effet plus sûr que l’invitation de M. Protocole, autour duquel elles restaient immobiles comme autour du tombeau de leurs espérances déchues. Drumquag dit, ou plutôt murmura tout bas, qu’il avait des enfants ; et en sa qualité d’homme bien né, il s’attribua la préséance et sortit le premier. Le débitant de tabac se leva brusquement pour combattre la proposition : « Cette petite fille est déjà assez bien traitée, et monsieur Protocole doit naturellement en prendre soin comme exécuteur testamentaire. » À ces mots, prononcés d’un ton sec et décisif, il quitta la place. Le petit-maître essaya une plaisanterie stupide et grossière sur la recommandation de mistress Bertram, qu’on enseignât à la pauvre fille un honnête métier ; mais le colonel Mannering (vers lequel, dans son ignorance des manières de la bonne compagnie, il s’était retourné comme pour lui demander son approbation) lui lança, de ses yeux noirs et vifs, un regard de côté qui le glaça jusqu’au fond du cœur : il gagna l’escalier le plus promptement possible.

Protocole, qui ne laissait pas que d’être un assez bon homme, exprima l’intention de se charger provisoirement de la jeune personne, en protestant toutefois que cela ne pourrait être considéré que comme un acte de pure charité ; alors Dinmont ayant secoué sa redingote comme un chien de Terre-Neuve secoue sa crinière quand il sort de l’eau, s’approcha de lui, et s’écria : « Que le diable m’emporte, monsieur Protocole, si vous avez aucun embarras d’elle, dans le cas où elle consentirait à venir chez nous ! Voyez-vous, Ailie et moi nous ne savons pas grand’chose, et nous aimerions assez que nos filles en sussent un peu plus que nous, pour être comme les filles de nos voisins. Oui, nous l’aimerions assez. Jenny, après avoir vécu si long-temps avec une grande dame telle que lady Singleside, ne peut manquer de connaître les belles manières, de savoir lire dans les livres et manier l’aiguille ; quand elle ignorerait tout cela, nos enfants ne l’en aimeront pas moins. Je lui fournirai tout ce dont elle aura besoin, et de plus un peu d’argent pour sa dépense personnelle ; ainsi les cent livres resteront dans