Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/288

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Les autres convives s’étant retirés, Mannering, Dominie et M. Pleydell restèrent seuls. La conversation tourna alors sur le testament de mistress Bertram. « Et maintenant, dit Pleydell, qui a pu fourrer dans la tête de cette vieille jument poussive de déshériter la pauvre Lucy Bertram, pour donner sa fortune à un enfant qui est depuis si long-temps mort et disparu ? Pardon, M. Sampson, j’oubliais combien ces souvenirs sont affligeants pour vous. Je me souviens de vous avoir interrogé sur cette affaire, et jamais je n’ai eu tant de peine à faire dire à personne trois mots de suite. Vous pouvez, colonel, parler de vos Bramines pythagoriciens ou silencieux. Allez, je vous assure que ce docte gentleman est leur maître en taciturnité. Mais les paroles des sages sont précieuses, et ne doivent pas être jetées légèrement et au hasard. — Certainement, dit Dominie essuyant ses yeux avec son mouchoir bleu rayé, ce fut là un jour bien amer pour moi ; oui, un jour qui m’a fait regretter celui de ma naissance ; mais celui qui impose le fardeau donne la force de le porter. »

Le colonel profita de cette occasion pour prier M. Pleydell de l’informer en détail des circonstances relatives à la perte de l’enfant ; et l’avocat, qui n’aimait rien tant qu’à parler des matières judiciaires et criminelles, particulièrement quand elles étaient à sa connaissance personnelle, entra dans les plus petits détails. « Et quelle est votre opinion définitive sur tout cela ? dit Mannering. — Oh ! que Kennedy a été assassiné ; ce n’est pas la première fois que cela est arrivé sur cette côte. C’est chose ordinaire qu’un contrebandier tue un douanier. — Et que conjecturez-vous qui soit arrivé à l’enfant ? — Hélas ! assassiné aussi, sans nul doute, répondit Pleydell ; il était assez âgé pour dire ce qu’il avait vu ; et ces mécréants maudits ne se feraient pas scrupule de commettre un second massacre de Bethléem, s’ils croyaient y devoir gagner quelque chose. »

Dominie soupira profondément et s’écria : « Épouvantable ! »

« Mais il était question de Bohémiens dans cette affaire, ajouta le colonel, et ce qu’a dit après l’enterrement cet homme à l’air commun… — L’idée de mistress Bertram, que l’enfant existait encore, était fondée sur le rapport d’une bohémienne, dit Pleydell s’emparant de la pensée à demi exprimée du colonel ; je vous envie, monsieur Mannering, ce rapprochement ; c’est une honte pour moi de n’avoir pas imaginé cette conclusion. Nous allons nous occuper de cette affaire à l’instant même. Hé, garçon, hé ! ici ! Allez