Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/303

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arrêté pour mieux voir le château, se trouva être précisément celui où mourut son père. Il était ombragé par un énorme chêne, le seul qu’il y eût sur toute l’esplanade, et qu’on appelait l’Arbre de la justice, parce que c’était là que jadis les barons d’Ellangowan faisaient exécuter les condamnations capitales par eux prononcées. Par un autre hasard, et cette coïncidence est vraiment remarquable, Glossin était ce matin-là en conférence avec une personne qu’il consultait au sujet de réparations et d’augmentations considérables qu’il projetait de faire au château neuf ; et comme il ne voyait pas avec plaisir des ruines qui rappelaient si vivement la grandeur des anciens propriétaires, il avait l’intention d’employer dans ces constructions nouvelles les pierres du vieil édifice délabré. Il était donc venu sur le bord de la mer accompagné de l’arpenteur dont il a été question dans une occasion précédente, lequel, au besoin, se faisait architecte. Toutefois Glossin, qui ne s’en rapportait qu’à lui-même, se chargeait de dresser les plans. Bertram leur tournait le dos quand ils arrivèrent sur l’esplanade ; et comme il était caché entièrement par les branches du grand chêne, Glossin ne l’aperçut qu’au moment où il arriva tout près de lui.

« Oui, monsieur, comme je vous l’ai déjà dit bien souvent, le vieux château est un carré parfait, tout en pierres de taille ; et ce serait une amélioration pour la propriété de le jeter à bas, puisqu’il ne sert que d’asile aux contrebandiers. » À ces mots, Bertram se tournant brusquement vers Glossin, qui n’était plus qu’à deux pas de lui : « Voulez-vous donc détruire ce vieux château, monsieur ? » lui dit-il.

Sa figure, son attitude, sa voix, étaient si exactement celles de son père dans ses meilleurs jours, que Glossin crut voir l’image vivante de son patron lui apparaître soudainement, dans le lieu même où il avait expiré, et pensa un instant que le tombeau avait laissé échapper sa proie. Il recula deux ou trois pas, comme s’il venait de recevoir une profonde blessure. Mais bientôt il retrouva sa présence d’esprit, rappelé à lui par cette pensée alarmante que ce n’était pas un habitant de l’autre monde qui s’offrait à ses yeux, mais un homme outragé, dépouillé, que la moindre maladresse de sa part éclairerait sur ses droits et sur les moyens de les faire valoir. Mais ses idées étaient si confuses, son esprit si troublé par le coup qu’il venait de recevoir, que ses premières paroles furent un cri d’alarme.

« Au nom de Dieu, comment êtes-vous arrivé ici ? — Comment