Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/346

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suite faire connaître le résultat au lecteur. Pour le moment, nous lui ferons part d’un incident qui se rattache aux événements de ce jour remarquable.

Pendant l’absence du colonel, Charles Hazlewood n’avait osé faire aucune visite à Woodbourne. Il est vrai que la conduite de Mannering à son égard lui donnait à penser qu’il ferait bien de s’en abstenir ; et tel était l’ascendant que l’heureux militaire, le gentilhomme accompli, avait su prendre sur son jeune voisin, que celui-ci tenait beaucoup à ne pas lui déplaire. Il voyait ou croyait voir que le colonel approuvait son amour pour miss Bertram ; mais il voyait aussi, et plus clairement encore, que Mannering considérait comme inconvenant qu’il contractât une liaison plus intime sans l’approbation peu probable de ses parents ; il respectait donc la barrière que mettait entre eux le généreux et zélé protecteur de miss Bertram. « Non, se disait-il à lui-même, je n’exposerai pas miss Lucy à quitter un asile où elle jouit d’une douce tranquillité, avant de pouvoir lui offrir une maison qui lui appartienne. »

Ayant pris cette courageuse résolution, il y persista ; et son cheval, qui, par habitude, prenait toujours la direction de Woodbourne, l’ayant amené deux fois à la porte du château, Charles Hazlewood sut résister au désir de descendre pour s’informer seulement de la santé des jeunes demoiselles et s’il pouvait leur rendre quelque service pendant l’absence du colonel. Mais, la seconde fois surtout, la tentation fut tellement forte, qu’il résolut de ne pas s’y exposer de nouveau. Il envoya savoir des nouvelles des habitantes de Woodbourne, leur fit dire mille choses aimables, et se décida à faire enfin, à une famille qui demeurait à quelque distance, une visite qu’il retardait depuis plusieurs mois ; il comptait, du reste, revenir assez à temps pour être un des premiers à présenter ses hommages à Mannering et à le féliciter sur son heureux retour, après un voyage si long et si difficile que celui d’Édimbourg. Il partit donc après avoir combiné ses mesures pour être informé du retour du colonel quelques heures après son arrivée ; il devait prendre aussitôt congé de ses amis, et venir dîner à Woodbourne, où il était toujours le bien-venu. Il se flattait, car il avait réfléchi sur ce sujet beaucoup plus qu’il n’était nécessaire, que cette conduite paraîtrait toute simple, toute naturelle, tout ordinaire.

Mais le destin, dont les amants ont si souvent à se plaindre, ne fut pas, en cette occasion, favorable à Charles Hazlewood. Il fallut d’abord faire changer les fers de son cheval, parce qu’il com-