Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonne ne sait mieux que vous qu’il disparut le jour même de ma naissance. — C’est vrai, c’est vrai, » répondit Dominie, dont ce souvenir diminua un peu la gaîté ; « je faisais là un étrange oubli. Oui, oui, c’est trop vrai ; mais vous rappelez-vous votre digne père ? — En pouvez-vous douter, monsieur Sampson ? il y a à peine quelques semaines que… — C’est vrai, c’est vrai ! oui, trop vrai » et son rire dégénérait en un ricanement convulsif. « Je ne me sens plus envie de rire. Mais regardez ce jeune homme. »

Bertram entrait dans l’appartement.

« Oui, regardez-le bien, c’est la vivante image de votre père ; et puisque le ciel vous a privés de vos chers parents, ô mes enfants, aimez-vous bien — En vérité, c’est la figure et tout l’extérieur de mon père, » dit Lucy en pâlissant.

Bertram courut pour la soutenir. Dominie, dans sa précipitation pour la secourir, prit de l’eau bouillante sur la table à thé ; mais heureusement les couleurs de miss Bertram reparurent, et la sauvèrent de la maladroite assistance de cet excellent homme.

« Je vous en conjure, monsieur Sampson, dit-elle d’une voix entrecoupée mais solennelle, parlez, est-ce là mon frère ? — C’est lui, c’est lui ! miss Lucy. C’est le petit Henri Bertram, aussi sûr que le soleil du bon Dieu est au ciel.

" Et vous êtes ma sœur ? » dit Bertram s’abandonnant à la tendresse fraternelle, qui, faute d’un objet sur qui elle pût se répandre, avait si long-temps sommeillé dans son cœur.

« Oui, c’est elle, c’est-elle ! c’est miss Lucy Bertram que, grâce à mes pauvres soins, vous trouvez connaissant à fond les langues française, italienne, et même espagnole ; sachant lire et écrire ; sachant par principes sa langue maternelle, l’arithmétique, et la tenue des livres en partie simple et en partie double. Je ne parle pas de ses talents pour ourler, broder, gouverner une maison ; ce n’est pas de moi, il faut rendre à chacun ce qui lui est dû, c’est de la femme de charge qu’elle les tient. Je ne m’attribue pas non plus le mérite de ses talents en musique ; c’est à une jeune demoiselle qui demeure ici, à miss Julia Mannering, jeune personne pleine de vertu et de modestie, et de plus très facétieuse, que l’honneur en revient en grande partie. Suum cuique tribuito[1]. — Vous êtes donc, dit Bertram à sa sœur, la seule personne qui reste de ma famille ? Hier soir, et surtout ce matin, le colonel m’a appris les infortunes de notre famille ; mais il ne m’avait pas dit que je retrouverais

  1. Rendons à chacun ce qui lui est dû. a. m.