Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/391

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assure que ce serait folie d’aller maintenant à Ellangowan, Tout ce que je puis vous accorder, c’est que nous allions tous ensemble nous promener jusqu’au bout de l’avenue. Peut-être voudrons-nous bien vous accompagner jusque sur une hauteur d’où vous aurez l’ineffable plaisir de contempler de loin ces sombres tours qui, par une sympathie secrète, ont si vivement ému votre imagination. »

La proposition fut acceptée avec empressement. Les demoiselles, ayant mis leurs manteaux, se dirigèrent vers l’avenue, sous l’escorte du capitaine Bertram. C’était par une belle matinée d’hiver, et la bise, quoique un peu froide, leur rendit cette promenade fort agréable. Une secrète et plus intime analogie de sentiments régnait entre les deux demoiselles, et Bertram, tantôt écoutant d’intéressants récits sur sa famille, tantôt racontant ses aventures dans les Indes, leur causait un plaisir qu’il partageait lui-même. Lucy était fière de son frère, de l’élévation et de la noblesse de ses sentiments, des dangers qu’il avait courus, du courage avec lequel il les avait surmontés. Julia, en repassant dans son souvenir les paroles de son père, ne pouvait s’empêcher d’espérer que cet esprit d’indépendance qui lui avait déplu chez Brown sans nom et sans famille, ne lui paraîtrait plus que du courage, de l’élévation, de la noblesse, dans l’héritier de l’antique maison d’Ellangowan.

Ils arrivèrent enfin à une petite éminence appelée Gibbie’s knowe, située sur les confins du domaine d’Ellangowan ; il en a été plus d’une fois question dans le cours de cette histoire. De là on découvrait, d’un côté, une agréable variété de collines et de vallons parsemés de bois dont les branches dépouillées formaient, dans le fond du paysage, des masses d’un rouge foncé ; d’un autre côté, la vue était coupée par les lignes régulières des plantations, où les pins d’Écosse déployaient toutes les nuances de leur sombre verdure ; à deux ou trois milles de distance, on apercevait la baie d’Ellangowan, et ses vagues doucement soulevées par un vent d’ouest. Les tours du château ruiné, s’élevant au-dessus de tous les objets environnants, se détachaient plus vivement colorées par le soleil du matin.

— Voilà, dit Lucy à Bertram en dirigeant la main de ce côté, voilà la demeure de nos ancêtres. Le ciel m’est témoin, mon frère, que je n’ambitionne pas pour vous le pouvoir que les anciens maîtres de ces ruines ont, dit-on, possédé si long-temps, et dont ils ont quelquefois fait un mauvais usage. Mais puissé-je vous voir recueillir assez des débris de leur fortune pour prendre une situation