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DOUZE ANS DE SÉJOUR

dépravèrent, et la dissolution de l’Empire progressa rapidement. Par condescendance pour l’opinion publique, et comme pour faire illusion à leur peuple, les Empereurs affectaient de respecter quelques-unes de ses anciennes libertés. Selon la coutume, l’Empereur n’était réellement le maître que sur une grande route ; dès qu’il posait le pied sur la terre d’une commune, il devait obéissance à la loi de cette commune et soumettre ses volontés aux officiers communaux. Les Atsés suivaient hypocritement cet usage et donnaient lieu quelquefois à des incidents semblables à celui du moulin de Sans-Souci, faisant croire ainsi à une liberté et à une justice qui n’existaient plus. Ils maintenaient aussi auprès de leur personne un Akab-Saat, officier chargé de rester debout auprès de l’Empereur quand il mangeait ou quand il buvait, et de lui arrêter même la main, dès qu’il jugeait que son maître dépassait les règles de la tempérance. L’Atsé ne prenait pas un repas, sans que l’Akab-Saat fût présent ; on citait des cas où cet officier avait saisi la coupe. Mais les orgies impériales finissaient fréquemment par des exécutions.

Plusieurs vastes provinces de l’empire, telles que l’Innarya et le Kafa, le pays des Djindjerous, le Sennaar, une partie du grand Damote, le pays des Gallas-Azabo, avaient profité des suites de l’invasion musulmane, pour s’affranchir de leur vassalité à l’empire et se constituer en États indépendants. Les Empereurs, trop occupés des discordes civiles pour les faire rentrer dans l’obéissance, se contentèrent d’exercer vis-à-vis d’elles une suzeraineté qui de nominale devint fictive ; ils se faisaient donner néanmoins le titre de Rois des Rois. D’accord avec leurs Likaontes et leurs clercs-légistes, ils promulguaient des rescrits, des or-