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DOUZE ANS DE SÉJOUR

cipline, à disloquer l’Empire ; mais la catastrophe accomplie, il reprit le sens de sa haute mission. Frappé dans ses richesses, devenues excessives, il se réfugia dans son domaine transterrestre, combattit toutes les injustices par ses anathèmes et se rangea résolument du côté des opprimés.

L’insécurité étant devenue générale, les populations s’habituèrent à déposer leurs valeurs mobilières dans les monts-forts, dans les cavernes fortifiées et surtout dans les villes et bourgs dont les églises jouissaient du droit d’asile, et où se réfugiaient aussi, dans les moments les plus difficiles, les femmes, les enfants, les vieillards et les infirmes des campagnes. Ces asiles, sans remparts, sans garnison, et d’accès facile, n’avaient, pour gardien et défenseur, que le clergé de la paroisse, présidé par un abbé que nommait le Dedjazmatch. Ils servirent de dernier abri au droit, à l’enseignement, à l’industrie et au commerce ; les foires et marchés hebdomadaires ne se tinrent plus que dans leur enceinte, sous la juridiction de l’abbé, laquelle s’étendait sur tout homme ayant posé le pied en deçà des limites de l’asile et couvrait également la personne du faible, de l’opprimé, du malfaiteur et du criminel. Cet état de choses, qui subsiste encore aujourd’hui, mettait souvent en présence les abbés et les puissants du dehors ; le droit d’hébergement exercé par les soldats du Polémarque de la province, les dépôts de légalité contestable, les délinquants de toutes sortes, les meurtriers, les déserteurs ou les transfuges donnaient souvent lieu, de la part des chefs militaires, à des réclamations contre la juridiction cléricale. L’abbé et son clergé n’avaient à opposer à leurs prétentions que des armes spirituelles, et les représenta-